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Aude, 9 ans

 


        

Aude, 9 ans

 

Peurs enfantines et sentiment de culpabilité

 

Claude Kessler 2012

 

 

 

 

 

La mère d'Aude, 9 ans, est venue consulter la psychiatre du service pour le renouvellement d'une ordonnance de Ritaline que la fillette prend depuis l'âge de 6 ans pour des troubles de l'attention. Elle se montre distraite à l'école, n'écoute pas toujours les consignes, peut oublier ses affaires et a des résultats moyens. La mère se dit inquiète car elle peut se mettre facilement en danger, par exemple en traversant la route sans faire attention aux voitures. Elle n'est pas en demande d'un suivi pour sa fille, et n'accepte qu'avec une certaine réticence la psychothérapie qui lui est proposée du fait de la présence d'importantes angoisses chez l'enfant. Un suivi familial est entrepris en parallèle par le médecin.

 

 

Premier entretien. Aude est accompagnée par sa mère.

  

Quand je rencontre Aude pour la première fois, je me trouve en face d'une jeune fille gaie et souriante, qui se montre calme et intéressée par un travail qu'elle accepte d'entreprendre malgré une mère hésitante. Elle me parle d'emblée des peurs qui l'empêchent de dormir dans sa chambre qui se trouve à l'étage, pas très loin de la porte du grenier. De ce fait, elle dort au rez-de-chaussée, dans le salon, près de la chambre des parents. Ce qui la rassure. Pendant longtemps elle a dormi avec sa sœur qui a 2 ans de plus qu'elle et qui dort à l'étage. Parfois elle va rejoindre sa petite sœur qui a 5 ans de moins qu'elle et qui dort au rez-de-chaussée. A certains moments elle est allée dormir dans le lit de ses parents.

 

Elle me dit qu'à une époque elle voyait, quand elle était seule dans sa chambre, le soir, un homme et une femme qui lui disaient "Si tu descends pas assez vite les escaliers tu seras morte". Et elle dévalait les escaliers à toute vitesse. Actuellement elle ne les voit plus, mais entend toujours les voix. Comme nous ne sommes pas en présence d'un état psychotique, l'origine de ces "hallucinations" reste bien mystérieuse. S'agit-il d'illusions engendrées par une trop forte angoisse ou d'un effet indésirable résultant de la prise de Ritaline ? Les deux sans doute.

 

Quand elle se promène seule dans la rue, en plein jour, Aude a peur d'être agressée. Selon elle, il y a plein de "méchants" dans la rue. Elle me raconte qu'elle a entendu dire à la télévision qu'un père avait tué ses enfants. Elle a aussi peur de vieillir et de mourir. Elle parle :"d'être dans la tombe mangée par les vers et ne jamais revivre".

 

Un cauchemar dans lequel un clown la tue ainsi que toute sa famille la remplit d'effroi. Elle pense qu'il aurait fallu le remettre dans la forêt pour qu'il ne tue personne.

 

 

Deuxième entretien

 

Aude commence par me dire qu'elle est allée rejoindre sa petite sœur dans son lit. Puis elle me parle de tous ceux dont elle a été séparée par son déménagement dans notre région et de son grand-père malade qu'elle craint de perdre. Elle m'explique qu'elle ne  croit ni au paradis ni à l'enfer, elle pense qu' "à la mort on reste toute sa vie enfermé dans un cercueil et que l'esprit reste enfermé dans le corps mis en terre". Par contre sa mère semble croire à ce fameux paradis et lui a dit que pour y aller il fallait y croire. Alors elle a peur de finir en enfer puisqu'elle n'y croit pas.

 

Elle dessine une maison avec de la vigne et un monsieur qui cueille du raisin. Puis elle change d'avis et fait de l'homme une femme. Elle dessine un deuxième personnage auquel elle s'identifie spontanément : "Je rencontre une ombre, dit-elle, ce n'est pas la mienne. Je me demande de qui elle est. C'est un monsieur qui s'est caché derrière la maison, il veut du raisin. Non, c'est un enfant qui veut manger du raisin." 

 

Aude continue en me racontant que son père veut un quatrième enfant pour avoir un garçon. Elle conclut en disant :"On a un chien garçon". Comme si le chien était une réponse à la demande du père.

 

 

Troisième entretien

 

La fillette me parle des relations souvent difficiles qu'elle entretient avec sa grande sœur qui est considérée comme étant une bonne élève, ce qui n'est pas son cas. De sa petite sœur elle dit :" Elle se croit plus forte et plus intelligente que moi, je ne l'aime pas. Quand je lui donne des claques tout le monde m'engueule. " Elle continue : "Je suis du milieu, c'est pas cool, on m'ignore, on m'oublie".

 

Elle me raconte que sa mère est obligée d'être à côté d'elle pour qu'elle fasse ses devoirs. Elle dit qu'elle n'inscrit pas ses devoirs parce qu'elle n'a pas le temps, qu'elle est trop lente. Elle est contente que les adultes lui coupent la viande, elle pense qu'elle en est incapable. En souriant elle déclare : "Je suis gauche, j'ai deux mains gauches". Elle s'identifie, un peu trop, à la place qu'elle tient dans le discours des autres.

 

Aude fait des rêves dans lesquels elle est une princesse, une fée ou une sirène dans un pays fait de gâteaux et de bonbons. Mais il y a toujours les cauchemars mettant en scène le meurtre de ses parents et de ses sœurs. De ces dernières elle dit qu'elle aimerait parfois en être débarrassée.

 

Elle dit que l'existence de la méchanceté lui fait peur et pense que ses parents et ses grands-parents n'ont pas de méchanceté en eux. Elle a manifestement quelques difficultés à faire avec ses propres "mauvaises" pensées.

 

Elle se plaint encore de ce que sa mère lui dit, quand elle se cogne :" Fais attention aux meubles". Il n'est pas certain qu'elle soit sensible à l'humour maternel.

 

 

Quatrième entretien

 

 

Aude ne dort plus dans le salon mais à l'étage avec sa grande sœur. Il s'agit d'une décision imposée par le père parce que dans le salon elle regardait la télévision au lieu de dormir.

 

Elle me parle longuement de la peur que pourrait lui inspirer un voleur qui aurait "une tête bizarre", un voleur bizarre qui pourrait la voler elle. Le voleur pourrait entrer par la cave où son père aurait pu l'enfermer pour la punir. Dans sa peur, elle s'imagine qu'un homme aux cheveux gris qu'elle et sa sœur auraient embêté dans la rue pourrait chercher à se venger. Elle a cru le reconnaître en venant à la consultation.

 

Elle s'imagine "volée"et emmenée, enfermée dans une cage, puis tuée "pour le plaisir".

 

Pour finir Aude me parle encore de sa peur de manger des framboises ou des aliments dangereux : elle pourrait attraper des maladies et en mourir.

 

 

Cinquième entretien

 

 

Nouveau changement : Aude a obtenu de dormir dans le couloir face à la porte de la chambre de ses parents. Elle se dit rassurée parce que la porte reste ouverte la nuit.

 

Elle reparle longuement de sa peur de mourir et d'être tuée. L'idée d'être enfermée seule dans une tombe pendant des millions d'années la terrorise. Elle parle d'un homme qu'elle a vu plusieurs fois dans la rue, qui me ressemblerait et qui lui fait peur.

 

Elle se souvient d'un événement qui s'est produit il y a quelques années : l'affolement de sa mère quand l'alarme de protection de leur maison s'est déclenchée en l'absence du père.

 

 

Sixième entretien

 

 

Aude me dit qu'elle n'a plus peur quand elle se retrouve seule. Peut-être est-ce d'avoir donné un sens à cette peur en référence à son histoire et à l'angoisse de sa mère ?  Mais elle ne veut pas pour autant dormir dans sa chambre.

 

Elle me fait un dessin dont elle dit qu'il représente son lit devant la porte ouverte de la chambre des parents. Elle réaffirme qu'elle veut dormir près de ses parents, comme sa petite sœur qui a une chambre au même niveau qu'eux. Elle traite sa sœur de "crapule" et de "méchante" et dit qu'elle ne trouve pas que cela soit normal que cette dernière ait le droit de dormir en bas, et qu'elle et sa grande sœur soient obligées de dormir en haut.

 

Elle me dit que dormir avec deux nounours ça ne lui suffit pas, qu'il lui faut une vraie personne, et elle ne cache pas qu'elle aurait une préférence pour son père qu'elle qualifie de "costaud". Mais elle relativise vite cette "puissance" du père : "pas si costaud que ça, un peu comme vous", me dit-elle.

 

Elle ajoute sur le dessin sa grande sœur se tenant à l'écart et la petite qu'elle place à l'entrée de  la chambre des parents. Toutes les deux portent une couronne : ce sont elles les reines de la maison.

 

Il n'y a donc que les deux sœurs qui sont dessinées. Les parents ne sont représentés par  leurs signifiants marqués sur la porte de la chambre, porte supposée être ouverte mais qui est dessinée fermée. D'Aude il n'y a que le lit vide et un nounours. Au pied du lit, elle dessine deux ombres dont elle ne dit rien.

 

Vers la fin de l'entretien la fillette veut aller vérifier la présence de sa mère dans la salle d'attente. Elle exprime la peur qu'elle ait été oubliée ou que sa mère soit repartie sans elle. Elle m'explique " Pour elle (sa mère)  ce sont les devoirs les plus importants, mais pour moi c'est la gym. Je suis élastique".

 

 

 

Dessin de l'entretien 6

 

 

                                                          

 

 

 

Septième entretien

 

Aude se plaint qu'à l'école sa voisine, qui redouble, copie sur elle parce qu'elle est une bonne élève. Elle  ne veut pas que cette fille ait de bonnes notes car, dit-elle, "elle est la reine de tout de monde et pas moi." Je lui fais remarquer qu'il y a bien des manières de copier sur quelqu'un. Elle me répond que si tout le monde copie sur elle, toutes vont être belles et habillées comme elle. Quant à elle, elle aimerait être habillée comme sa cousine.

 

Aude continue en me parlant de sa jalousie à l'égard de sa petite sœur, de son envie de lui donner des coups de pied, mais elle se retient de peur de lui faire du mal. Selon elle, c'est cette sœur, qui en regardant la télé, la distraie le soir et l'empêche de faire ses devoirs, mais elle reconnaît qu'en fait elle n'a pas envie de faire ses devoirs, qu'elle aime travailler à l'école et pas à la maison.

 

Elle me fait un dessin dont elle me dit qu'il représente le paradis pour elle : une maison faite de bonbons et un ciel en chocolat. Dans son dessin elle est décédée et se retrouve au paradis en compagnie des animaux de la famille qui sont morts. Elle hésite à dessiner ses parents disant qu'elle n'a pas assez de place, puis les représente quand même. Son commentaire est éloquent : "Au paradis tu es fille unique, les sœurs ne sont pas là. On a tout ce qu'on veut quand on veut."

 

 

 

Dessin de l'entretien 7

 

 

 

 

 

 

Un choix "moral" est fait dans ce dessin, elle se fait mourir et laisse vivre ses sœurs. En même temps, elle réalise son rêve de vivre au paradis. La mort prend un sens différent de "pourrir en terre". Aude symbolise un au-delà de la séparation, elle entre dans l'illusion que quelque chose survit à la mort. Et c'est cette représentation qui va la sécuriser car elle ouvre sur une autre réalité que la réalité matérielle, celle de la vie psychique.

 

 

Huitième entretien

 

Aude me raconte que son père ayant été absent cette nuit, elle a dormi dans le lit de sa mère avec ses deux sœurs, mais qu'elle a dû quitter ce lit alors que ses sœurs ont pu rester. Elle en déduit logiquement que sa mère l'aime moins que ses deux sœurs. Mais elle  est contente d'elle parce qu'elle a eu une série de bonnes notes à l'école.

 

Elle dessine et commente : "le lit des parents avec ma mère, ma petite sœur, ma grande sœur et ma petite, non, c'est moi." Elle est couchée à l'extrémité du lit et affiche un air mécontent alors que les trois autres personnages sont souriants.

 

Aude se défend de convoiter la place de sa petite sœur à côté de leur mère, elle dit qu'il serait dangereux pour la petite de dormir à l'extrémité du lit car elle pourrait tomber et se faire mal. Le sentiment de culpabilité fait son travail et elle a beaucoup de difficultés à accepter l'idée qu'elle ne veut pas que du bien à sa sœur.

 

Dans un deuxième dessin, elle représente la rue qui lui fait peur. C'est là qu'il y a un homme étrange qui vendrait de la drogue. Elle a peur que cet homme la vole et lui fasse du mal. Influencée par l'actualité, elle se voit séquestrée dans une cave pour le restant de sa vie. Elle précise encore : " je préfère qu'on me vole moi que ma sœur, sauf quand je suis énervée contre elle."

 

Là les peurs de l'enfant sont clairement l'expression retranscrite par le sentiment de culpabilité des châtiments attendus pour souhaiter être débarrassée de sa jeune rivale.

 

 

Neuvième entretien

  

Aude parle longuement de sa peur de la mort et des questions que celle-ci lui pose : l'âme, l'enfer, etc., et elle termine en me demandant : "Est-ce que c'est vrai ce qu'on dit que seuls les morts le savent."

 

Elle me dessine la cour de récréation avec elle et son amoureux, ainsi que deux autres élèves et deux anges dans le ciel.

 

Je lui fais remarquer que sur le dessin elle n'a pas les pieds sur terre. En réponse, elle répond qu'elle a besoin d'aller aux toilettes. Ce n'est pas la première fois qu'elle interrompt un entretien pour  aller aux WC. Au retour, elle m'explique qu'elle n'a pas les pieds sur terre parce qu'elle ne fait que penser à son amoureux. Dans une deuxième version, elle raconte qu'on lui a lancé un ballon et qu'elle est tombée par terre et s'est fait "un truc crânien" : "je remonte au ciel", dit-elle. Elle parle bien de remonter et non de monter.

 

Aude a la tête ailleurs, dans les nuages, et c'est cela que l'on soigne comme un trouble de l'attention : son rêve d'être aimée comme une princesse.

 

 

Dessin de l'entretien 9

 

 

 

 

 

 

Dixième entretien

 

Elle évoque sa "mamie" qui est décédée, elle aimerait la retrouver, qu'elle revienne ou aller la rejoindre. " Je suis triste pour tous ceux qui sont morts, dit-elle. Si on a une âme, on peut les rejoindre." Mais elle ne veut pas n'être qu'une âme et perdre son corps. Elle imagine les âmes en file d'attente devant l'hôpital pour recevoir un nouveau corps. Elle continue en disant qu'elle préfère marcher que penser car les pensées lui font peur. La pire des pensées, selon elle, c'est que la mort c'est la fin.

 

Aude parle encore de Noël qui approche. Elle dit avoir constaté que le Père Noël, Saint Nicolas et la souris (celle qui amène la pièce d'argent) ne sont qu'une seule et même personne : sa mère. Elle l'explique par la relative absence de son père dans l'éducation des enfants.

 

Elle me dessine sa maison avec en bas et en rouge l'enfer et en haut et en bleu le paradis. Sont dans les flammes et fouettés ceux qui ont tué et sont au paradis à manger des bonbons ceux qui ont été sages toute leur vie. Elle me raconte qu'elle a parfois envie d'éliminer sa rivale en amour ou une de ses sœurs et me demande si on va en enfer quand on pense à tuer quelqu'un.

 

 

 

Dessin de l'entretien 10

 

 

 

 

 

Onzième entretien

 

Aude se dit moins préoccupée par les idées de mort. Dormant sur un lit pliant devant la  chambre des parents elle se plaint que ceux-ci ferment leur porte. Elle répète qu'elle veut les voir. Elle veut savoir ce qui se passe dans la chambre des parents.

 

La fillette dessine les fenêtres de sa salle de classe et ce que l'on peut voir au dehors, ainsi que trois tables et trois chaises. Elle désigne sa place et celle du garçon dont elle se dit amoureuse, tout en précisant :" Il ne m'aime pas. Dans la classe, il y a deux ou trois qui l'aiment. Il est à côté de moi, je peux le voir." Puis elle se demande comment on fait les enfants, disant que ses parents regardent la télé dans leur lit et qu'elle aimerait dormir avec eux.

 

Ces questions concernant la sexualité des parents soulèvent une nouvelle vague de culpabilité sous la forme de la crainte d'une catastrophe. Elle imagine la rupture d'un barrage et dit qu'elle s'inquiète pour moi.

 

 

Douzième entretien

 

Aude me dit qu'elle a des difficultés à s'endormir, qu'elle épie ses parents parce qu'elle a peur qu'ils partent une fois qu'elle dort. Ce qui s'est apparemment réellement produit quand elle était plus petite. Elle et sa grande sœur s'étaient réveillées en pleine nuit et leurs parents étaient sortis. Cette peur lui est restée, surtout qu'elle s'imagine qu'ils pourraient partir en oubliant de fermer la porte.

 

Elle répète, en parlant de sa petite sœur : "Je ne peux pas la voir",  et reconnaît qu'elle  se montre violente avec elle.  Elle lui reproche d'être la préférée de leur père. Elle dit qu'elle regrette l'époque où elle croyait au Père Noël, elle dit que le Père Noël est mort, c'est d'ailleurs ce qu'elle a cru quand sa mère lui a dit qu'il n'existait pas. Ce très nietzschéen " Le Père Noël est mort" est sans doute l'expression de sa désillusion quand elle a cessé de croire qu'elle était, elle, la préférée du père, du père phallique du complexe d'Œdipe, de celui dont la fille espère un enfant.

 

 

Treizième entretien

 

 

Je rencontre Aude avec sa mère. Celle-ci se plaint du comportement de sa fille qu'elle ne trouve pas assez obéissante et qui agresse sa petite sœur. Par contre elle pense que les difficultés qu'il y avait pour la mettre au lit sont résolues. Elle pense qu'Aude imite sa grande sœur, adolescente en révolte.  De son côté l'enfant reproche à sa mère d'être trop exigeante et autoritaire, de s'énerver facilement après elle. Elle dit qu'elle a l'impression d'être la mal aimée et que ses parents auraient voulu un garçon et non trois filles. Elle dit à sa mère qu'elle pense que sa naissance a été une mauvaise nouvelle pour eux. Elle revendique ouvertement de pouvoir dire NON, elle veut que ses parents acceptent qu'elle puisse refuser, sans lui crier dessus pour qu'elle se soumette.

 

Quatorzième entretien

 

 

Aude me parle de son sentiment de solitude. Ses parents travaillent tard le soir, elle est souvent seule avec ses sœurs et s'ennuie. Elle dit qu'elle ne sait ni jouer ni faire ses devoirs  seule.

 

Sa mère ne veut pas la laisser sortir de la maison sans qu'elle soit accompagnée. Un garçon est venu la chercher pour jouer avec elle. Sa mère lui  aurait menti en disant qu'elle était à la piscine alors qu'elle était dans sa chambre. Elle m'explique que sa mère a peur qu'il lui arrive  malheur.

 

Aude me dessine un homme dans une voiture qui les suit, elle et sa sœur. Un homme "chauve, avec une barbichette et des tatouages et qui sent pas bon". Il veut les enlever. Il s'agit là de faits survenus il y a plus d'un an. Elles n'en ont jamais parlé à leur mère de peur qu'elle ne les laisse plus sortir. Depuis ces événements elle craint de faire la rencontre d'"un tueur d'enfants", "de quelqu'un qui tue pour le plaisir ou parce qu'il a bu".

 

 

Dessin de l'entretien 14

 

 

 

 

 

 

 

Quinzième entretien

 


Aude m'annonce avec fierté qu'elle est venue seule, qu'elle n'a pas attendu que sa mère vienne la chercher à la sortie de l'école. "Je suis venue seule et je ne suis pas morte", me dit-elle, tout en exprimant la crainte que sa mère ne s'inquiète. J'informe donc les parents par téléphone de la présence de leur fille dans mon bureau. Une fois de plus, il apparaît que la peur d'une agression est d'abord celle des parents.

 

Sa relation avec sa sœur cadette se serait améliorée. Elle met parfois les habits de sa sœur aînée qui la poursuit alors avec une cravache.

 

Elle me commente son dessin : "Une fille que j'ai envie de défoncer. C'est la plus connue de la classe et je suis sa meilleure amie. Elle sort avec le plus beau des garçons et je suis amoureuse de lui. Je ne l'aime pas, même si elle est ma meilleure amie." Elle " gribouille" sur le bonhomme représentant la fille pour dire qu'elle l'élimine. Elle est présente dans le dessin, cachée derrière un arbre. Elle affirme que c'est elle la plus belle, alors que sa rivale est "cornue et redouble".

 

Cette situation où elle observe les amoureux, cachée derrière un arbre, n'est pas sans évoquer une autre situation, celle dans laquelle elle surveillait ses parents en dormant devant la porte de leur chambre. Dans le fantasme tel qu'il s'exprime là, à peine voilé, il s'agit de se débarrasser de la mère pour prendre sa place auprès du père.

 

A la fin de l'entretien elle me fait une représentation schématique de son école. "Pour vous montrer comment c'est", dit-elle.

 

 

Dessin de l'entretien 15

 

 

 

 

 

 

Seizième entretien

 

Aude est fière de me montrer qu'elle connaît quelques mots d'anglais. Puis elle me parle d'une voisine qui lui fait peur. Depuis que son bébé est décédé, elle bercerait son fils de douze ans en l'appelant du prénom de l'enfant qu'elle a perdu. Elle me parle encore d'une histoire d'horreur qu'on lui a racontée. Il s'agit d'une fille nommée Cécile qui a tué sa sœur aînée, et qui l'entend parler la nuit. Elle en meurt de peur. Elle s'imagine dans le rôle de Cécile couchée dans son lit, face à sa sœur aînée allongée morte dans la baignoire.

 

Le dessin représente bien la symétrie qui existe entre les deux sœurs : la soeur aînée gisant morte dans sa baignoire est un peu comme l'image spéculaire de la cadette dormant dans son lit. Il s'agit en quelque sorte d'une identification à l'autre tué dans le fantasme, à l'autre du désir de mort, une identification à l'agressée comme on peut avoir une identification à l'agresseur. C'est le sentiment de culpabilité qui mène à une identification à la victime potentielle, autant comme punition que pour préserver l'autre menacé de destruction. Ce qui fait que détruire l'autre c'est aussi se détruire.

 

 

Dessin de l'entretien 16

 

 

 

 

 

 

Dix-septième entretien

 

 

Aude me raconte avec fébrilité que, son père étant absent, les trois sœurs ont pu dormir avec leur mère. Mais elle et sa sœur aînée ont dû retourner dans leurs chambres respectives parce qu'elles empêchaient leur cadette de dormir.

 

Elle se dessine en train de tomber dans l'eau. Alors qu'elle se noie, son chien la sauve. Elle me raconte qu'un jour sa sœur aînée a jeté leur chien dans un fleuve car il n'avait pas obéi.

 

La fillette parle de ma mort. Elle me trouve âgé et me dit que quand je serai mort elle viendra apporter des fleurs sur ma tombe.

 

 

Dix-huitième entretien

 

Elle dessine les enfants de la famille réunis chez leur grand-mère . Elle constate une fois de plus qu'il n'y a qu'il n'y a que des filles. Elle pense que c'est sa sœur aînée qui aurait dû être un garçon. C'est Pâques et elle trouve tous les œufs cachés dans l'herbe. Sa mère l'oblige à les partager avec les autres enfants. Elle me demande si j'ai déjà été victime d'une injustice et si j'aimerai être à sa place.

 

Dans un deuxième dessin elle  dessine des cactus qui parlent la langue des cactus. Elle serait Licia, la fille cactus.

 

 

Deuxième dessin de l'entretien dix-huit

 

 

 

 

 

  

Nos entretiens s'arrêteront là par décision de la mère, faute de temps disponible pour Aude qui va bénéficier d'un soutien scolaire (malgré ou grâce à ses bonnes notes). On voit qu'elles sont les priorités de la mère, mais il est vrai qu'Aude a bien grandi et a résolu certaines de ses difficultés.

 

 

 

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