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Parce que langage

  

              

"Parce que langage"

 

Claude Kessler (2012)

 

 

Quand je reçois pour la première fois la mère de ZAC, accompagnée de son fils âgé de 3 ans et 2 mois, j'ai en face de moi une femme déçue par l'inefficacité des remèdes éducatifs qui lui ont été conseillés pour résoudre le problème que lui pose son enfant depuis la séparation du couple parental il y a quelques mois. Depuis cette époque, il veut revenir au tétage (il a été allaité pendant huit mois) et parfois il se jette sur elle, même en public, pour s'emparer d'un de ses seins et tenter de le mettre dans sa bouche. Elle a essayé les techniques éducatives qui lui ont été conseillées : le rappel de l'interdit, la punition, la satisfaction substitutive, etc. Tout cela en vain. De la même manière, elle n'a pas réussi à interdire à son fils l'accès à son lit. Si cette histoire m'a interpellé c'est que, lors d'un deuxième entretien, cet enfant m'a répondu "parce que langage" à la question lui demandant pourquoi il voulait téter sa mère. Mais que cherche cet enfant en demandant à sucer le sein maternel ? Est-ce simplement une preuve d'amour ou un plaisir qu'il aurait pourtant pu trouver plus facilement dans la succion d'un substitut ? Par ailleurs quelle est la part de l'ambiguïté de l'attitude maternelle dans l'induction et l'ancrage du comportement symptomatique de   l'enfant ? En toile de fond nous avons la tentative d'éviction d'un père dont la mère s'est séparée et dont elle veut réduire au minimum la présence dans la vie de son fils.

 

 

Premier entretien

 

Au cours de l'entretien, la mère me dit que son fils est âgé de trois mois. Entendant son lapsus, elle le corrige immédiatement. Le comportement régressif de l'enfant est apparu à la mise en place d'une garde alternée ordonnée par le juge. Il supporte apparemment mal d'être séparé de sa mère une semaine sur d'eux, et la mère est, elle aussi, mise en souffrance par cette séparation. Il exprime une forte angoisse d'abandon et la mère pense que ses absences en sont la cause. Les relations de l'ancien couple sont difficiles et leurs conflits se sont cristallisés autour de la garde de l'enfant. La mère n'accepte pas que la grand-mère paternelle puisse vouloir la remplacer auprès de son fils quand il est chez son père.

 

Parler de régression orale pour rendre compte du comportement symptomatique de Zac c'est se référer explicitement à une vision développementaliste qui, à défaut de se révéler forcément pertinente, est d'un usage facile quand il s'agit d'un enfant.

 

Pendant que sa mère parle, ZAC joue avec les dinosaures : les méchants tuent les gentils et les mangent, lui serait le T.Rex, "le plus méchant et le plus fort, qui tue et mange tous les autres".

 

Parlant de son lapsus, la mère m'explique qu'elle a l'impression de se retrouver face à un bébé de trois mois quand son fils lui impose de la téter, mais c'est peut-être aussi l'âge qu'elle aimerait qu'il ait. Alors qu'en est-il de la demande inconsciente de cette mère qui dit, à propos de la garde alternée, qu'elle avait l'impression qu'on était en train de lui voler son "bébé" ? L'allaitement a été une période de satisfaction pour tous les deux, et il n'y a certainement pas que l'enfant qui la regrette. Ce qui dérange surtout la mère, c'est le regard des autres quand son fils se jette sur sa poitrine, mais elle craint aussi d'avoir un enfant qui puisse être ou devenir anormal. Évidemment, il y a chez elle une forte culpabilité dans la mesure où elle se sent responsable de la situation dans laquelle se trouve actuellement l'enfant. Par ailleurs, le fait qu'elle travaille en milieu hospitalier ne fait qu'aggraver son angoisse face à un comportement qu'elle trouve hors norme. Elle se vit comme étant une mauvaise mère dont le comportement fautif (avoir quitté le père de son fils) a rendu son enfant malheureux, peut-être même malade.

 

 

Deuxième entretien

 

Zac me dit qu'il a peur que sa mère l'abandonne comme elle a abandonné son père. Il parle avec difficultés de ce père qui lui manque. Ce qu'il dit est manifestement difficile à entendre pour la mère qui se trouve face à une réalité qui diffère nettement de celle qu'elle s'était imaginée. Puis il dit qu'il ne veut plus parler mais téter, qu'il veut redevenir un bébé car en ce temps-là ses parents étaient encore ensemble, qu'il regrette cette époque. Si sucer le sein se donne comme étant une activité régressive ce n'est donc pas tant par rapport à un mode d'alimentation que par rapport à l'acte de parler.

 

Zac fait un gribouillage qu'il dit être une coquille d'escargot. Puis il parle d'un escargot qui dort dans la coquille. Dans un premier temps il se voit être l'escargot, puis il s'imagine être le requin qui mange l'escargot. Il s'agit là de deux fantasmes élaborés pour remédier à son angoisse d'abandon et se réapproprier le corps de sa mère (sa présence) : retourner dans son ventre ou la dévorer, dans ce dernier cas ce serait lui qui l'incorporerait.

 

Selon la mère, son fils aurait entendu dire aux informations télévisées qu'une mère allaitait son enfant de 3 ans. Elle se demande s'il n'a pas voulu faire de même. Allaiter un enfant de 3 ans n'est donc pas un crime, sauf que la mère n'ayant plus de lait, sucer et se faire sucer prennent un sens différent de la satisfaction d'un besoin alimentaire. Et il ne s'agit pas là non plus simplement du symbole d'une époque révolue et d'un bonheur perdu, même si ces dimensions sont bien présentes.

 

La séparation des parents, révélant chez la mère un désir pour autre, n'a pas fait que naître une angoisse d'abandon mais a aussi réveillé l'angoisse de castration orale, comme si le sein était resté l'objet qui nouait la relation mère-enfant, c'est-à-dire leurs désirs réciproques (l'un étant le bouchon de l'autre, dans l'esprit de l'enfant du moins, mais pas seulement). Les événements familiaux ont cassé l'illusion de ZAC d'avoir le monopole du sein maternel et de la mère (le père, peu présent dans la vie de l'enfant, ne semble pas avoir été un obstacle pour lui), engendrant par là même des tentatives pour s'en emparer dans la réalité. L'exclusion du père a dû laisser penser à l'enfant que la voie était libre et qu'il allait pouvoir prendre possession de sa mère, avant de rencontrer un rival. Son comportement pourrait alors prendre un sens plus érotisé voulant dire : "Tu es à moi maintenant" et non seulement : "Je suis ton bébé et j'ai besoin de toi". L'érotisation a sans doute été introduite par le désir de la mère qui, lasse de n'être que maternelle, s'est trouvé un amant. Ce qui a radicalement changé l'image qu'en avait ZAC. Il s'est trouvé face à la représentation d'une mère sexuée, d'une femme qui cherche un homme et non un petit enfant, et là il n'est pas de taille. C'est le désir de sa mère qu'il interroge à travers sa demande.

 

Dans le développement de l'enfant, l'objet oral vient à être marqué du sceau de l'interdit en tant qu'objet oedipien. C'est cet interdit que Zac et sa mère vont transgresser répétitivement sur un mode exclusivement symbolique, c'est-à-dire dans le registre du signifiant et du fantasme. L'évolution psychologique d'un l'enfant se fait ainsi par des transgressions substitutives (sublimations). Ici la difficulté vient de ce que la régression orale prend le sein maternel comme objet et non une de ses représentations. C'est le chemin inverse de celui de la sublimation. Encore que l'accès qu'un enfant à au corps dont il est issu est quelque chose de conventionnel et défini culturellement en fonction de l'âge, avec cependant un interdit absolu qui est l'inceste réel. Il existe parfois des situations plus ou moins malsaines ou ambiguës, mais dans le cas présent il n'en est rien. Si Zac se comporte comme un "piranha" érotisé ayant pris comme cible le sein maternel, c'est que, dans cet objet, amour et désir se confondent en une présence réconfortante et apaisante prenant appui sur un certain plaisir oral. Pour cet enfant le sein de la mère est semblable à un "doudou", il remplit une fonction comparable à celle d'un objet transitionnel, avec les inconvénients d'être resté intégré au corps de la mère et donc de ne pas pouvoir assurer la présence permanente d'un signifiant maternel. La place centrale du "sein" dans cette famille est sans doute liée à l'importance de l'oralité pour la mère qui se définit elle-même comme étant "une bonne mangeuse" et qui fait passer beaucoup de transactions par la nourriture, que ce soit dans son rôle de mère ou dans celui de femme.

 

Ce qui différencie l'objet transitionnel des autres objets c'est que l'enfant refuse de  s'en séparer. Cet objet qui n'est prélevé ni sur le corps de la mère ni sur celui de l'enfant, et qui se situe entre succion du sein et succion du pouce, est d'abord un substitut du sein maternel. Avec l'âge  il devient un substitut de la mère perçue personne totale et finit par intégrer des éléments paternels. Il remplit  une fonction de réassurance protégeant l'enfant contre l'angoisse de séparation.

 

Le sein que rencontre l'enfant à la naissance est d'emblée un signifiant de la mère, ce qui explique qu'il puisse être remplacé par un biberon sans que cela soit dommageable pour l'enfant. Les motivations d'une mère à ne pas vouloir ou pouvoir allaiter sont parfois plus problématiques. Le sein que réclame et obtient éventuellement Zac n'est évidemment pas le sein originaire puisqu'il est sec. Encore qu'il puisse avoir l'illusion de le réanimer. L'objet de la régression orale est un substitut de l'objet originaire dans une chaîne de substituts (de signifiants) qui aurait dû aboutir à l'objet transitionnel. Mais comme cet objet n'a pas été abstrait du corps maternel, Zac reste entièrement dépendant de la présence de la mère. On peut dire aussi bien que cet enfant a échoué à symboliser un objet transitionnel que  de dire qu'il s'est trouvé un objet qui a une fonction partielle d'objet transitionnel (la défense contre l'angoisse dépressive) mais qui n'en est pas un.

 

Le don du sein n'est pas uniquement une preuve d'amour et l'objet ne remplit pas seulement une fonction de réassurance, la succion a aussi à voir avec la quête de la jouissance. La castration orale n'est pas le sevrage qui concerne le sein comme organe et qui met un terme à une des modalités de satisfaction des besoins alimentaires chez le nourrisson. Ce qui est mis en scène dans la régression orale de Zac, c'est le sein comme objet de jouissance dans le fantasme d'une satisfaction totale et absolue (pulsionnelle et narcissique). Mais parler de "castration orale" c'est précisément dire que le sein n'est pas l'objet de jouissance mais un de ses signifiants : la castration symbolique procède de ce que le mot ne coïncide pas avec la chose, et le désir trouve sa cause dans le manque-à-être qui en résulte.

 

La mère de Zac, dont le métier est de soigner, est prise dans le fantasme d'un enfant qui serait sans manque et dans l'idéal d'être une "bonne mère" apportant à son enfant une satisfaction totale et sans limite. Pour cela elle s'offre à être ce qui n'existe pas, un sein tout-puissant, pour une satisfaction absolue, une jouissance qui elle aussi n'existe pas. C'est donc d'abord du côté de la mère que la castration orale n'est pas opérante puisqu'elle ne peut pas penser sans angoisse ni culpabilité apporter une satisfaction limitée, incomplète, à son fils. Et en retour elle attend une satisfaction identique à celle qu'elle imagine donner, elle veut un enfant comblé qui la comble et la rende pleinement heureuse en retour. C'est déjà une problématique identique qui a mené à l'échec de son couple : ne pas accepter une certaine dose d'insatisfaction dans la relation.

 

Pour toutes les formes de castration, l'enjeu est le même : l'expérience d'une limite dans la satisfaction donnée et celle obtenue. La castration phallique en est le modèle théorique. Si le sujet est castré en tant qu'il lui manque l'objet de jouissance imaginarisé sur le modèle de l'image du corps, l'objet est castré, lui aussi, car il n'est jamais à même d'apporter la satisfaction absolue qui en est attendue dans le fantasme d'une complétude retrouvée, et à cela rien d'étonnant puisqu'il n'est que le signifiant d'un objet et d'une jouissance mythiques. Le sein, objet partiel, n'est donc pas l'objet de jouissance mais une de ses représentations. Cette jouissance indéfiniment ratée, impossible, va être réécrite dans la névrose comme jouissance interdite. Le sevrage n'a pas le statut d'interdit, et l'interdit du cannibalisme n'a de sens que s'il est compris comme étant celui de réduire l'autre à l'état d'objet de jouissance, ce qui est au principe même de la Loi. Les limites symboliques que rencontre l'enfant au niveau oral sont celles dérivées de l'interdit de l'inceste et viennent limiter le libre accès de l'enfant au corps de sa mère. Par l'interdit de l'inceste, les séparations liées à la naissance et au sevrage prennent une valeur symbolique.

 

Le langage, par les différences qu'il amène à l'être et articule, sépare le sein maternel de la bouche de l'enfant et inscrit un manque dans son image du corps. Cette coupure réécrite et consolidée comme interdit de l'inceste donne sens à l'impossible jouissance comme jouissance interdite. Alors c'est bien de la transgression d'un interdit dont il est question dans la problématique évoquée par Zac, de la réalisation symbolique de l'inceste comme retour au et dans le sein maternel. L'avenir des enfants qui gardent un libre accès au corps de leur mère malgré un âge avancé  (pouvant la toucher en tout endroit du corps, par exemple) est d'un mauvais pronostic.

 

Dans l'histoire que Zac partage avec sa mère, l'objet oral est déjà bien phallicisé. Il est là comme un des substituts du phallus qui manque à la mère, phallus en danger qu'un simulacre d'allaitement restaure dans sa fonction. C'est la castration maternelle que cet enfant refuse en faisant du sein maternel un précurseur du fétiche.

 

Une autre question se pose inévitablement, celle des conditions nécessaires pour qu'une intégration des limites soit opérante. En tout état de cause, les techniques éducatives à base de punitions et de récompenses, ou faisant appel à la raison, utilisées dans les thérapies mentales, sont inefficaces à assurer cette intégration. Quand les limites ne sont pas intériorisées elles ne peuvent pas avoir un rôle structurant. On assiste alors tout au plus à un dressage de l'enfant. Dans la théorie freudienne, l'intériorisation de la loi est liée à la constitution du surmoi par une identification au père haï à la sortie de l'Œdipe.  A partir de là l'enfant et l'adulte qu'il va devenir seront arrêtés, ou du moins freinés, dans la transgression des interdits par les manifestations de l'angoisse et de la culpabilité. Il n'y aura plus la nécessité de la présence dans la réalité d'un gendarme agitant la menace d'une punition. Évidemment pour que l'enfant s'identifie à un père qui soit "une métaphore de la loi" il faut qu'il puisse symboliser un tel père. Et là tout semble dépendre de ce qu'il rencontre ou non du côté de la mère, une référence chez elle à un au-delà de sa seule satisfaction, un signe de son assujettissement à une loi comme effet de son inscription dans l'ordre du symbolique, c'est-à-dire l'inverse d'une mère toute-puissante. Cette référence chez la mère à un Ailleurs qui la structure et qui vient lui dire que tout ne lui est pas permis (ailleurs pouvant être incarné par la figure du    père : le père de l'enfant, de la mère, un oncle, etc.) semble indispensable pour que l'enfant soit lui aussi référé à une parole qui fasse loi. La mère de ZAC, par la culpabilité qu'éveille en elle son fils lui demandant le sein, renvoie celui-ci directement à la loi. Elle refuse, tout en cédant parfois, de satisfaire la demande de l'enfant, non parce qu'elle n'en a pas envie, mais parce que cela ne se fait pas. De son côté, en jouant le rôle du tentateur, Zac renvoie aussi sa mère à la loi.  Prendre possession du sein maternel devient alors pour lui une transgression, une jouissance interdite, même s'il sait qu'il existe des enfants de son âge qui sont encore allaités. Le sein mis en scène dans la régression orale, par la référence à l'interdit de l'inceste qu'il implique, renvoie donc aussi, en tant qu'objet interdit au signifiant paternel.

 

C'est du côté de la mère que la situation doit évoluer pour introduire un changement du côté de l'enfant, un changement qui ne relève pas de la répression et du dressage. Il faut qu'elle prenne conscience de ses propres fixations infantiles et fasse le deuil de l'illusion d'un sein qui serait tout-puissant dans le registre de l'être comme dans celui de l'avoir.

 

Quelles que soient les questions théoriques auxquelles renvoie la régression orale de Zac, une chose est certaine, et la mère l’a bien compris, l’enfant a besoin de ces moments pour se ressourcer, pour soigner sa souffrance. D’une certaine manière il est " addict " au sein maternel.

 

 

Troisième entretien (deux mois se sont écoulés)

 

La mère m'apprend que Zac n'essaie plus de s'emparer de son sein en public, il passe par les mots  et demande à téter. Il répète souvent qu'il veut être un bébé. Il me dessine (dessin 3) des ronds recouverts d'un gribouillage et qu'il dit être des "crottes", puis une "grotte d'ours", puis encore "une crotte d'ours dans une grotte". Apparemment des liens signifiants se mettent en place, ainsi qu'une certaine distance par rapport à l'objet. Le passage du faire au dire montre que la mère n'est plus là comme un arbre sur lequel l'enfant viendrait cueillir une pomme, mais un sujet auquel il adresse une demande, lui reconnaissant ainsi un désir. Dans le même temps, il trouve du plaisir à jouer avec les mots, entre sonorité et sens, ce qui est encore un moyen de prendre de la distance par rapport à l'objet réel (la crotte recouverte d'un gribouillis). Si la transgression au niveau des mots n'affecte pas la permanence du sujet c'est qu'il est bien ancré dans le symbolique. Et c'est cela qui va lui permettre de progresser.

 

On remarquera que dans le dessin, la "crotte dans la grotte" ressemble à un fœtus. Le fantasme qui s'exprime ainsi est la réalisation d'une jouissance incestueuse sous la forme d'un retour dans le sein/ventre maternel. L'échec de l'identification orale (être le bon sein tout-puissant) mène à une identification anale. Le lien entre contenu et contenant se fait sur la base d'une similitude phonétique. Le contenu, le bébé-crotte, est lié par le langage au contenant, l'utérus-grotte. Le lien anal vient réparer le lien oral mis à mal par les événements réels sollicitant l'angoisse de séparation. Et l'on voit bien que cette dernière n'est qu'une des modalités de l'angoisse de castration. Pour Zac la castration anale "passe mieux" que la castration orale, elle est moins anxiogène. Perdre la mère, c'est perdre le sein ou tout autre objet de complétude puisé dans l'image du corps. Et il s'agit d'inventer de nouveaux liens pour pallier ceux qui menacent de s'effondrer.


Dans ses jeux Zac incarne le prédateur, c'est lui qui dévore les autres et il en est fier. Il ne dévore pas pour ne pas être dévoré, mais parce qu'il est "méchant", dit-il. Ce jugement qu'il porte sur lui-même montre qu'il a un certain savoir sur ce qui est considéré comme étant bien ou mal, mais la transgression n'éveille en lui aucune angoisse ni culpabilité. Il s'agit là d'une position qui diffère de celle d'autres enfants qui jouent le rôle du gibier menacé de dévoration et qui élaborent des stratégies pour y échapper ou encore qui s'offrent à être celui qui sauve les autres de la dévoration. Ces dernières positions sont sans conteste plus morales ou névrotiques puisqu'elles mobilisent une culpabilité attestant d'une intériorisation de la loi. A l'inverse Zac exprime librement ses fantasmes sadiques.

 

                                                                         Dessin  3

 

 

 

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Quatrième entretien


Zac qui dort de nouveau avec elle ne veut plus la quitter pour aller à l'école. Depuis notre dernière rencontre la situation s'est tendue entre la mère et son ancienne belle-mère qui joue le rôle de substitut maternel quand l'enfant est chez son père. Elle le considère comme son propre fils, me dit la mère qui se sent niée et dépossédée. Zac est ainsi confronté à deux femmes qui veulent s'approprier la place de mère et à un père réduit au rang de grand frère. Cela semble le perturber : il appelle sa mère "mamie" et inversement. La mère est en colère parce que la grand-mère a interrogé l'enfant sur la manière dont elle s'occupait de son zizi. Apparemment une rivalité s'est installée entre les deux femmes quant à savoir laquelle prenait le mieux soin du sexe de l'enfant.

 

Elle m'annonce que le père fréquente une femme, et du coup elle ose me révéler qu'elle a elle aussi une nouvelle relation amoureuse. En fait pas si nouvelle que cela puisque c'est elle qui a précipité la séparation du couple parental. Du côté de l'enfant, la jalousie et l'angoisse d'abandon ont dû être renforcées par ce dédoublement de l'image maternelle en mère et amante.

Zac fait un gribouillage (dessin 4). Il m'explique qu'il a dessiné un serpent accroché à un arbre et qui veut manger cet arbre qui ne pousse plus. Il se voit dans le rôle du serpent et sa mère dans celui de l'arbre qui ne grandit plus. Puis il me parle d'un cauchemar dans lequel des fantômes le dévorent et il me dit que c'est à cause de sa peur d'être dévoré qu'il veut dormir avec sa mère. L'angoisse de dévoration qui s'exprime dans ce cauchemar traduit le début d'une identification à l'objet oral, ce qui semble être le détour nécessaire à la possibilité d'une élaboration de la position dépressive. Si dans un premier temps l'identification à l'objet oral signifie être dévoré, avec l'atténuation de l'angoisse d'abandon, l'agressivité va diminuer et la relation au sein maternel sera pacifiée. De là l'enfant pourra sortir de la fixation à une image de bouche amputée et menaçante, et le départ de la mère ne signifiera plus forcément la fin du monde. L'objet oral ne sera plus alors incarné dans l'organe. Il deviendra concept (un sein qui n'est pas tout-puissant, mais qui est inusable) et idéal (de bonté), et sera perdu comme objet réel.

                                             

                                                                       Dessin  4

 

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Cinquième entretien

 

La mère se plaint des "attaques" de son fils qui veut toucher ses seins quand il dort avec elle. Il lui aurait dit qu'il voulait rester petit et rentrer dans son ventre. De son côté la mère déclare qu'elle n'est pas prête à le rendre malheureux en lui imposant une trop grande frustration.  Elle lui oppose bien un "non" quand il veut la téter ou venir dans son lit, mais finit par céder. C'est donc un "drôle de jeu" qui s'est instauré entre les deux, jeu que la mère dit subir mais dans lequel elle a aussi sa part de responsabilité, ce dont elle a conscience.

Zac me dessine (un dessin entre le gribouillage et le figuratif) "une montagne cassée par l'eau". Ça parle de l'unité perdue : l'unité symbiotique mythique, mais aussi du couple parental et de la famille.

L'hostilité croît entre la mère et les grands-parents paternels qui culpabilisent l'enfant dans le conflit qui fait rage autour de sa garde (la mère veut la garde exclusive).

Zac passe l'entretien collé à sa mère. Je lui propose de jouer. Il s'empare d'un dinosaure et me dit qu'il est mort. Je lui demande : " Il est mort comment ?" et il me  répond : "Parce que langage". Veut-il dire que le dinosaure est mort dans son jeu parce qu'il le dit, et que cela suffit ? Mais pour moi cette réponse n'est pas sans évoquer une autre parole qui dit que le mot est le meurtre de la chose. Ce serait donc le langage qui a tué le dinosaure ? En tout cas, mort, le T.Rex ne dévorera plus personne. Ensuite l'enfant se met à pleurer quand sa mère lui dit qu'un jour elle sera amoureuse d'un homme. Il me regarde et déclare que sa mère ne veut pas d'homme. Je lui apparais comme un rival potentiel.

 

A partir de là l'intérêt exprimé par Zac pour les seins de sa mère va diminuer. Sans doute que du fait de la présence d'un homme dans la vie de sa mère il a pris conscience que celle-ci pouvait désirer autre chose que donner le sein, ce qui fait que lui aussi a pu évoluer, mais aussi parce que le sein, symbole de l'amour maternel, a pu être intériorisé après avoir été abstrait de l'organe réel. Intériorisé veut dire qu'une liaison signifiante a été établie entre l'enfant et le sein maternel.

 

C'est donc le désir de la mère qui va guider l'enfant vers la rivalité oedipienne et l'interdit de l'inceste.

 

Sixième entretien

 

Zac n'apprécie pas que l'amoureux de sa mère vienne à la maison. Il répète qu'il ne l'aime pas, et le montre. Il a adopté une attitude d'opposition et de provocation pour se venger, pourrissant la vie de sa mère. Celle-ci culpabilise et se reproche d'avoir imposé la présence d'un homme à son fils. Elle a peur de perdre son amour et a l'impression qu'il la rejette. La nouvelle situation réveille donc aussi des fantasmes œdipiens du côté de la mère. Quant à l'enfant, il menace d'aller vivre à temps complet chez son père, ce qui inquiète la mère qui craint que l'attitude de l'enfant n'influence le juge en ce qui concerne l'octroi de la garde. Dans la vie de cette femme il y a peut-être de la place pour un homme, mais pas pour un père pour son fils. Dans ses jeux Zac met en scène de nombreux scénarios de dévoration par lesquels il exprime librement son agressivité orale. Il s'agit autant de détruire l'autre que de se l'approprier comme objet.

 

 

Septième entretien

 

Zac arrive en me disant que c'est mieux de dormir dans son propre lit. Il a quitté le lit de sa mère et dort maintenant dans sa chambre. De son côté la mère dit qu'il veut "jouer le chef", ce qui l'oblige à le punir. En retour, l'enfant menace d'aller vivre chez son père.

 

Zac me dit qu'il n'est pas un veau, qu'il ne veut pas boire du lait de vache. Il suce ostensiblement son pouce. La mère me dit qu'elle a toujours refusé de lui donner une sucette. Là il n'est plus seulement question du plaisir de sucer et de s'assurer la possession du sein, et de la mère à travers son sein, mais de se remplir de lait maternel pour confirmer son identité. Comme quoi "on est ce qu'on mange" à tout âge. La satisfaction orale n'est pas qu'une absorption de lait, mais aussi un flux de signifiants allant de la mère à l'enfant, assurant ainsi son identité et son humanisation. Manifestement Zac a toujours besoin de renforcer le lien symbolique qui le relie à sa mère en l'étayant sur du corporel. D'autre part il n'est pas impossible que, sa mère ne lui ayant pas permis d'avoir un substitut du mamelon, il se soit imaginé qu'il lui était interdit de trouver son plaisir ailleurs. Sucer son pouce comme il le fait, c'est de la provocation. D'ailleurs la mère ne le supporte pas. Toute la difficulté de cet enfant est d'arriver à désirer en dehors du corps de sa mère, pour cela il faut qu'elle l'y autorise ou qu'il s'affranchisse de son autorité. Pour l'instant, elle ne lui a pas plus permis de trouver un substitut à l'objet oral que de lui échapper du côté du père.

 

D'un côté Zac n'arrive pas à se séparer et à élaborer sa propre identité, et l'attitude ambivalente de la mère n'y est sans doute pas pour rien, de l'autre il n'arrive plus à reconstituer l'unité originelle, symbiotique. 

 

Il me dessine un bonhomme têtard en me disant que c'est "un monsieur sans bras, qui n'en veut pas, qui n'aime pas les bras". Puis "un crocodile qui va sur un pont…il pique et gratte… c'est maman". Il est bien question d'un père absent, d'un père qui ne porte pas, et d'une mère dont l'évocation n'est pas empreinte de douceur.

 

Un troisième dessin représente un éclair. Il me dit qu'il a peur que l'éclair "entre dans la maison et la casse. Ça peut être dangereux, on peut être mort." La mère m'apprend que le grand-père paternel, particulièrement mystique, emmène fréquemment l'enfant au cimetière. Ce qui expliquerait, selon elle, la peur qu'il a de la mort. A la fin de l'entretien ZAC me demande :"Et si maman était pendue, accrochée dans le ciel, ce serait grave ?  Elle regarderait Jésus toute la journée." En entendant ces propos, la mère est furieuse. Elle a l'impression que les parents du père entraînent son fils dans ce qui est pour elle un délire religieux. Il lui est difficile d'accepter l'idée que l'enfant puisse l'imaginer comme étant "au ciel", c'est-à-dire morte. Les limites qu'elle essaie de mettre à son fils, ainsi que la présence à la maison d'un "rival" pour l'enfant, alimentent une agressivité qui explique ce regain de fantasmes de mort. Mais il y a là aussi une tentative pour symboliser l'idée d'une perte éventuelle de sa mère  et de penser sa vie sans elle. Il imagine la possibilité de la confier à Dieu qui, en tant que Nom du Père, pourra lui assurer une jouissance éternelle.

 

 

Huitième entretien

 

Le père n'est pas venu à la fête de fin d'année de l'école. Selon la mère, ce serait pour éviter tout contact avec elle. Elle explique de la même manière qu'il ne soit jamais venu aux entretiens, mais elle se dit aussi convaincue qu'il ne s'intéresse pas à son fils et qu'il ne demande la garde alternée que pour l'embêter et faire plaisir à ses parents.

 

De son côté, Zac  déclare qu'il aime m'appeler "pipichologue". La mère me précise qu'il est particulièrement intéressé en ce moment par son pénis et qu'il n'exprime plus aucun intérêt pour sa poitrine. Il dessine (dessin 8) un bonhomme en mauvais état, à l'expression triste et fâchée qu'il dit être sa mère qui est tombée et s'est cogné la tête. Il blesse encore celle-ci en lui disant devant moi qu'elle est "grosse". Ce qui est un des points sensibles de la mère. Il la traite  de " souris grasse" et dit que quand il sera grand il sera un dinosaure. Alors il pourra la dominer... L'agressivité de l'enfant à l'égard de sa mère s'exprime de plus en plus librement. Et celle-ci arrive à ne pas en faire un drame.

 

                                                

                                                                 Dessin 8 (Zac a 4 ans et 5 mois)

 

 

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Neuvième entretien

 

Zac, qui depuis peu répète que personne ne l'aime, dessine un gigantesque bras qui remplit toute la feuille et, dans un coin, un petit bonhomme sans bras ni jambes mais avec des yeux, un nez et une bouche. Il m'explique que c'est "une main qui sort de la terre et qui prend tout ce qu'elle voit. C'est un vampire qui a arraché le bras d'un dinosaure. Je suis le dinosaure qui s'est fait arracher la patte par la maman vampire." Le rôle d'agent de la castration est assuré par une image maternelle, ce qui n'a rien d'étonnant compte tenu du peu de place qu'a le père dans le discours de son fils. Apparemment le grand-père paternel est tout aussi inexistant.

La castration est doublement représentée dans ce dessin : d'abord par le dinosaure auquel la mère a arraché la patte, puis par le minuscule bonhomme dépourvu de bras et de jambes.

Que la mère soit imaginée sous les traits d'un vampire n'a rien d'étonnant puisque Zac évolue dans un univers dominé par l'objet oral et que du lait au sang il n'y a qu'un pas qui est vite franchi, mais l'investissement récent par l'enfant de son pénis introduit aussi la dimension de la castration phallique.

Cette main arrachée sortant du sable du sable et qui se saisit de tout est semblable à une bouche vorace: c'est le phallus castré qui se transforme en bouche dévorante. ZAC est là comme castré, phallus séparé du corps et bouche vorace, et c'est cette castration qui fait de lui une bouche vorace, peut-être parce qu'elle est opérée par une mère imaginarisée comme dévorante (phallophage). et qui "oralise" son fils. La régression orale de ZAC est alors autant une fuite devant une menace de castration que l'effet d'un interdit maternel à accéder au phallus. Et ce n'est pas du côté du père qu'il trouvera un soutien.

Il y a une certaine ambiguïté dans le récit de Zac qui peut laisser croire que le bras arraché du dinosaure est aussi le bras du vampire caché sous le sable. Ce qui voudrait dire qu'il y a  des zones d'indifférenciation, de confusion, entre le corps fantasmatique de la mère et celui de l'enfant. Ces failles dans la différenciation sont déjà en elles-mêmes un obstacle à la séparation.

Il dessine encore "une rivière avec les limites qu'on doit pas franchir … sinon on tombe dans l'eau qui est très profonde". Dans la rivière il dessine une "maman baleine bleue qui a la forme d'une porte. Devant une porte fermée à clé, l'eau ne passe pas, dit-il. La porte tombe dans l'eau … elle se noie presque … Il y a un long serpent, un vieux, qui veut aller dans l'eau, puis il y a un petit mâle qui est dangereux." C'est la première fois qu'un de ses dessins évoque directement son père. Il y a là, représentée, la famille oedipienne au grand complet : le grand serpent, le petit et puis la maman, tantôt rivière dans laquelle on risque de se noyer, tantôt porte, et enfin l'interdit représenté comme fermeture. Les limites commencent à être intériorisées, et cela parce qu'au préalable une symbolisation de l'interdit de l'inceste a été rendue possible.

 

Dixième entretien

 

La liste des reproches que la mère fait au père et aux grands-parents paternels à propos de l'éducation de son fils est bien longue. En fait, elle n'accepte pas l'idée qu'il puisse être heureux chez eux et elle ne le croit pas quand il le dit. Elle attend un soutien de ma part dans son conflit avec le père pour avoir la garde exclusive de l'enfant. Elle essaie de me convaincre que le comportement de ce dernier nuit à l'enfant, ceci dans le but d'obtenir une attestation pour son avocat.

Zac dessine "un pont avec un chemin pour aller dans l'eau. Il y a des poissons et des légumes et on peut les manger. Un ours géant prend le chemin et va manger." Il se voit dans le rôle de l'ours géant. Et il est vrai qu'il a gagné en assurance. Il m'aborde avec insolence, mais dans les limites de l'acceptable : une rivalité amusante venant de ce petit garçon. Dans le même temps, il peut envisager des substituts au lait maternel. L'expression : "on peut les manger" est à entendre comme "on a le droit de les manger", "on a le droit de se nourrir d'autre chose que du lait maternel", mais aussi au sens de "on n'en tombera pas malade". Ce qui est en dehors du désir de la mère, en dehors de son corps, cesse donc de représenter un danger.

Onzième entretien

 

Zac a appris par son père que sa mère a demandé la garde exclusive. Il voit son grand-père paternel pleurer quand il quitte ses grands-parents pour retourner chez sa mère. Son père aurait menacé de l'abandonner s'il disait à l'enquêtrice sociale qu'il préférait vivre chez sa mère (évidemment je tiens ces informations de la mère et elles ne correspondent pas forcément à la réalité, mais il s'agit d'un discours que l'enfant entend, et pas seulement dans mon bureau).

Il dessine (dessin 11) " un robot qui n'a pas d'yeux, il n'en a pas besoin parce qu'il sait où il va. Un autre robot avec une trompette et deux yeux et un troisième avec une corne à l'avant. Une porte bleue." Zac ne dit pas grand-chose à propos de son dessin. Il associe simplement le robot qui sait où il va à sa mère et la porte à son père. Est-ce que cela signifie que ce dernier représente une issue ?   L'enfant ne peut pas préciser si cette porte est ouverte ou fermée. En tout cas le signifiant "porte" est plein de sens potentiels :  le père qui porte, apporter la mère au père ou inversement, etc.

                                           

Dessin 11 (Zac a 5 ans et 1 mois)

 

               

               

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Douzième  entretien

 

Zac a une position ferme dans le conflit qui oppose ses parents. Il répète qu'il veut continuer à aller chez son père une semaine sur deux. Il subit des pressions des deux côtés et ses dessins expriment la souffrance, ainsi qu'une violence qui répond à celles qu'il subit.

Il dessine (dessin 12 a) un "sapin vivant et un rocher qui lui dit : "Pourquoi tu marches sur moi, ça fait mal ?" Une pierre tombe sur les deux et ils sont écrabouillés comme une limace…Le rocher a un œil."

Dessin 12 a

 

 

             

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A propos d'un deuxième dessin (dessin  12 b) il dit : " Ce sont des escargots qui prennent de l'électricité et explosent. Trois chameaux sur un pont. Il craque et ils tombent. Ils ont mal aux fesses…aux bosses."                                                           

 

Dessin 12 b

 

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Treizième entretien

 

Zac souffre depuis une semaine d'une urticaire impressionnante alors que toute la famille attend, anxieuse, la décision du juge concernant la garde de l'enfant. La mère m'annonce que son compagnon a eu un accident de voiture, mais sans gravité et qu'il va sortir de l'hôpital le lendemain. L'enfant commente les paroles de sa mère en disant : "c'est dommage". Puis il se reprend et dit "je suis heureux pour lui".

Zac se lance dans un jeu qui consiste à tuer le stylo. Il exige de sa mère qu'elle se taise pour qu'il puisse parler et dit qu'il va marquer la lettre "v" (il prononce "veu") sur son front. Là, il ne peut pas être plus explicite. Il s'agit pour lui de se faire reconnaître comme sujet désirant, comme ayant lui aussi un désir avec lequel il faut compter. C'est précisément ce que mon travail essaie de préserver : une place pour la parole et le désir de l'enfant.


Quatorzième entretien


Zac a fait une nouvelle crise d'urticaire. La mère pense que c'est en lien avec un passage à l'acte violent du père qui aurait voulu "donner une leçon" à la mère.

Il me dessine (dessin 14) "un extraterrestre qui veut passer sur un pont, mais il est cassé. Il passe à côté sans tomber dans l'eau. Chez lui il fait du feu sur sa tête, toute la maison brûle et lui avec". Le corps qui brûle évoque évidemment les sensations de brûlure liées à l'urticaire. Il extériorise sans doute ainsi l'agressivité et la volonté de destruction qui l'habitent. Mais les ressources psychologiques dont dispose cet enfant sont énormes, et ce n'est pas un pont cassé qui va l'arrêter.

 

Dessin 14

 

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Quinzième entretien

 

La mère s'est séparée de son compagnon. Elle explique sa décision par le fait que son fils n'a pas accepté la présence de cet homme. Du coup Zac ne veut plus aller à l'école mais rester avec sa mère. Il se plaint de douleurs à plusieurs endroits du corps. Il devient tyrannique et menace de se jeter par la fenêtre quand sa mère lui dit non.

L'enfant se dessine en train d'écraser le compagnon de sa mère puis il représente "un papillon qui pond une larve dans un concombre". Si comme le dit Freud le fantasme de la petite fille au moment de l'Oedipe est d'avoir un enfant du père, là le fantasme du petit garçon est de faire un enfant à la mère après avoir éliminé le père.

 

Seizième entretien

 

La mère m'annonce qu'elle a perdu son action en justice réclamant la garde exclusive de son fils. Zac est content, mais il culpabilise et demande à sa mère si elle lui en veut d'avoir exprimé le souhait d'une garde alternée. Il dit qu'il craint une punition, une vengeance. Quant à la mère, elle se sent trahie et abandonnée. Elle vit la décision du juge comme étant un rapt d'enfant, alors que dans les faits rien ne change.


Dix-septième entretien

 

Zac dessine son chat en train de rêver qu'il attrape une souris et la mange (dessin 17).  En ce moment, il embête sa mère en lui disant qu'elle est grosse. Il me dit, en parlant d'elle : " elle court après la magnification" et conclut l'entretien en affirmant : "On est des personnes, on n'existe pas". On peut toujours se demander si cet enfant joue avec le langage ou si le langage se joue de lui ("une personne c'est personne"). En tout cas, il a bien compris que pour sa mère, qui s'impose un régime alimentaire et rêve de maigrir, l'enjeu est de plaire. Le signifiant "personne" a aussi à voir avec le masque comme apparence et signifiant.

 

Dessin 17

                

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Dix-huitième entretien

 

Pour Zac tout semble aller pour le mieux dans le meilleur des mondes. Il ne veut plus dormir avec sa mère, ni sucer son sein. Son entourage le trouve d'une humeur gaie et d'une relation facile. Malgré des retours très positifs, la mère reste pourtant inquiète. Elle exprime la peur que son enfant puisse un jour avoir des problèmes psychologiques parce qu'elle a quitté son père.

Il me fait un dessin qui parle du refus des dessins de partager la feuille blanche. "Une maison qui veut casser la montagne, dit-il. La montagne veut casser le pont. Le pont veut casser la miette et la miette, le cube. Ils veulent pas qu'il y en ait un autre. Chacun veut la feuille pour lui tout seul…" La feuille de papier est évidemment là comme une représentation de la mère dont chacun voudrait l'exclusivité.

 

Dix-neuvième entretien

 

Trois mois se sont écoulés depuis notre dernière rencontre. C'est la mère qui a pris la décision d'espacer les entretiens. Aujourd'hui elle parle de les arrêter. Les parents ont réussi à renouer le dialogue, ce qui n'a pas empêché la mère de faire appel contre la décision d'une garde alternée.

Zac dit à sa mère qu'il s'ennuie chez elle, ce qu'elle ne supporte pas d'entendre. Elle se reproche de ne pas être capable de faire le bonheur de son fils, de ne pas lui suffire. L'enfant dit encore à sa mère qu'il ne l'aime pas parce qu'elle a prévu de partir une semaine pour des raisons professionnelles. Il sera chez son père pendant ce temps.

La mère exprime le sentiment d'avoir sacrifié sa vie pour son fils, elle pense qu'il est peut-être temps de passer à autre chose et de s'occuper un peu plus d'elle-même. J'ai l'impression que c'est l'enfant qui, en disant à la mère qu'elle ne lui suffit pas, lui permet de se déculpabiliser face à l'idéal d'une mère qui se consacrerait exclusivement au bonheur de son fils. Mère et enfant se renvoient en miroir leur propre castration mettant ainsi en échec le fantasme de leur complétude.

 

 

 

 



 

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