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Les symptômes d’apparence psychotique dans l’hystérie

 

 

L’hystérie sous le masque de la psychose ou une certaine manière de passer à côté de l’hystérie

 

Claude Kessler (1976)

 

Cet article reprend pour une part le texte d’une thèse présentée en 1976 pour le doctorat en psychologie. Il s’agit d’un questionnement faisant suite à mon étonnement face à la grande diversité des diagnostics pouvant être portés sur certains patients hospitalisés en psychiatrie, diagnostics relevant des psychoses pour être finalement repris comme diagnostics d’hystérie. Reprendre ces idées n’a pas  pour moi un intérêt simplement historique ou anecdotique. Le diagnostic de psychose pouvait être à l’époque un moyen de nier l’hystérie comme l’est à l’heure actuelle celui d’état limite. La question est celle des diagnostics portés sur l’hystérie. Et elle reste d’actualité. Mon texte témoigne aussi de ce qu’a pu être l’hôpital psychiatrique à une certaine époque, à un moment où la plupart des hôpitaux psychiatriques gardaient ce qu'Oury dénonçait comme étant une «structure concentrationnaire»(1). Plus que dans les soins, c’est dans la considération des malades que les plus grands progrès ont été faits dans le dernier quart du 20ème siècle, dans la reconnaissance d’un droit à la bientraitance. L'hôpital psychiatrique a cessé d'être un lieu où tout est permis et le patient souffrant de troubles psychiques d'être l'équivalent d'un déchet.

 

Le diagnostic psychologique est déterminé par la rencontre de deux subjectivités,  il est le produit de cette rencontre. S’il y a la réalité du tableau clinique il y a aussi le désir inconscient et la stratégie consciente du sujet pas si patient qu’on veut bien se l’imaginer. Lui fait face le diagnostiqueur  avec sa subjectivité, les stratégies personnelles, sociales ou institutionnelles auxquelles obéit le diagnostic, l’idéologie que sert le psychiatre ou le psychologue. Si plusieurs observateurs peuvent se mettre d’accord sur l’essentiel du tableau clinique, des divergences vont apparaître quant à ce qui est essentiel dans cette description et quant à son interprétation. Il serait facile de dire qu’un tel voit des  hystériques partout, tel autre des paranoïaques et un troisième des schizophrènes etc. Et cela correspond bien à la réalité pour autant que le patient peut n’être qu’un miroir dans lequel l’observateur se projette. Ce qui est somme toute assez banal. Alors, à  défaut de détenir la vérité, qui a raison ?  La psychiatrie et la psychanalyse sont des démarches différentes qui ne mènent pas au même diagnostic. Le diagnostic psychiatrique reste symptomatique alors que l’approche psychanalytique veut dégager une structure au-delà du symptôme.

 

Le diagnostic psychiatrique symptomatique abstrait l’individu de la structure qui participe à sa pathologie, il qualifie la personne et rarement le contexte familial, social,  professionnel, voire économique qui non seulement participe à l’éclosion des symptômes, mais en fait partie intégrante. De même qu’il est individualisant, le diagnostic symptomatique est anhistorique, il ne tient pas compte de l’histoire individuelle ou transgénérationnelle qui pourrait donner sens au symptôme. On est loin de la démarche psychanalytique qui, une fois débarrassée de ses restes psychiatriques, se propose de rencontrer le sujet derrière ses symptômes, l’humain derrière le malade.

 

Un diagnostic est inévitablement déterminé  par sa raison d’être, les fonctions qu’il est supposé remplir. Le but du diagnostic psychiatrique est de reconnaître quelqu’un comme malade, de définir cette maladie et de là, de prescrire un traitement et éventuellement une hospitalisation, celle-ci pouvant être sous contrainte de même que l’administration des médicaments ou d’autres soins. Le diagnostic psychologique remplit d’autres fonctions, il a pour but de mieux comprendre le consultant afin de s’adapter aux particularités de sa personnalité et de son éventuelle pathologie. Une démarche psychothérapique quant à elle ne peut se concevoir que par l’abandon ou la mise entre parenthèses de toute dimension diagnostique pour une écoute authentique de la parole de l’autre sans la juger ou la considérer comme la parole d’un malade, le psychothérapeute considère essentiellement la parole de l’autre comme l’expression d’un vécu, une parole en quête d’un sens, lieu d’une vérité qui cherche à se révéler.

 

Un  diagnostic psychopathologique est forcément réducteur et déshumanisant, et le recours aux tests psychologiques en rajoute une couche. Si j’ai eu recours au Rorschach c’était  pour étayer un diagnostic différentiel. Le test est supposé montrer ce qu’il en est du fonctionnement mental et psychopathologique d’un individu donné, non seulement au moment de la passation du test, mais avec une certaine continuité dans le temps. Après, ce mode de fonctionnement psychique est relié à la grille de lecture psychiatrique sur une base statistique. L’enjeu de  cette tentative pour établir un diagnostic différentiel n’était pas simplement intellectuel, mais naïvement humain : redonner au malade enfermé et souvent maltraité sa subjectivité. Dire qu’un tel était hystérique et non psychotique, c’était  aussi dire : mais il n’est pas si fou que ça, il n’est peut-être pas nécessaire de le garder enfermé pendant tant d’années. A cette époque « réhystériser » un patient, le « dépsychotiser », c’était aussi le réhumaniser, lui redonner un peu de dignité. Le regard de l’autre a tellement d’importance pour quelqu’un qui est en état de souffrance psychique.  Il est d’autant moins  possible de faire la part entre ce qui relève de la subjectivité, de la démarche psychiatrique, des moqueries et humiliations, dans la mise en forme des symptômes.

 

L’observation de  manifestations délirantes et hallucinatoires dans la crise d’hystérie est classique. Charcot les décrit et Freud y voit une formation analogue au rêve, comme retour symbolique de représentations refoulées. Cette émergence possible de symptômes psychotiques dans une névrose a donné naissance au concept de psychose hystérique. La question qui reste ouverte est celle de la nature de ces manifestations psychotiques ou d’apparence psychotique, et leurs conditions d’apparition.

 

L’hypothèse sur laquelle je me base est que le sujet de l’hystérie peut convertir dans des symptômes d’apparence psychotique comme il convertit dans les symptômes d’apparence somatique et que le regard psychiatrique a une tendance certaine à porter le diagnostic de psychose quand les manifestations hystériques dépassent un certain seuil et ne prennent pas les formes attendues...

 

Dans  les « Considérations théoriques » sur l’hystérie (2), Breuer écrit: « C’est dans l’accès hystérique et dans l’état qualifié d’hystérie aiguë et qui, semble-t-il, joue dans la formation de la grande hystérie un rôle si important, que l’hypnoïdie apparaît la plus évidente. Il s’agit là d’états de longue durée nettement psychotiques, persistant souvent plusieurs mois et que l’on qualifie de ‘confusions hallucinatoires ‘. Même quand le trouble n’est pas aussi accentué, cet état comporte des phénomènes hystériques variés dont quelques-uns persistent. (...) Ces états constituent très souvent de véritables psychoses bien qu’ils proviennent directement et exclusivement de l’hystérie (...) » (3). A l’époque les concepts de psychose et de névrose n’étaient aussi élaborés qu’à l’heure actuelle, il y a même une certaine confusion entre hystérie et psychose, comme si la différence était essentiellement  dans l’intensité des symptômes. Pourtant l’idée est là d’une maladie qui serait de l’hystérie et qui produirait des états psychotiques.

 

Freud quant à lui va se référer au concept de psychose hystérique qui désigne couramment des affections mentales sans substrat organique se manifestant par des symptômes de type psychotique (délire, hallucinations, catatonie, etc.), et ne se laissant ranger ni dans les schizophrénies, ni dans la paranoïa. Il écrit, dans « Psychothérapie de l’hystérie » : « Quand on a affaire à une hystérie aiguë, à un cas où les symptômes hystériques sont en pleine période d’effervescence et où, par conséquent, le moi se trouve submergé par les productions morbides (psychose hystérique), la méthode cathartique ne pourra que faiblement modifier le cours de la maladie » (4). La psychose hystérique se confond alors avec la crise aiguë d’hystérie dans laquelle le moi est submergé par les représentations refoulées.

 

Porot (5) parle de « manifestations d’apparence psychotique » dans l’hystérie : délire hystérique avec hallucinations, mimique d’inertie, stupeur, négativisme, pseudo-catatonie, puérilisme mental, pseudo-confusion mentale, etc.

Follin, Chazaud et Pilon (6) écrivent à propos des psychoses hystériques : « Nos malades existent et leur personne s’affirme mais sans autre identité que celle du rôle fantasmatique où ils se constituent comme personnage de théâtre, fascinés par l’image construite ou miroir de la scène délirante, seul le schizophrène vit le drame de l’existence de sa personne ; le psychotique hystérique vit, lui, le drame de son personnage.

(...) En somme, il ne s’agit dans nos cas ni de névroses hystériques, ni de psychoses paranoïdes, mais de psychoses délirantes où, dans le moment théâtral d’une double fascination spéculaire et extatique, se joue la comédie dramatique d’un sujet à la recherche de son personnage dans son identité  sexuée et sa filiation oedipienne ». Mon expérience confirme la description que donnent ces auteurs de la problématique psychique des malades qualifiés de psychose hystérique, mais pourquoi vouloir introduire la notion de psychose pour une problématique névrotique centrée autour de l’identité ?   Evidemment parce que le sujet arbore des symptômes qui sont  devenus synonymes de psychose. A partir de là il serait possible de distinguer plusieurs hystéries en fonction de leurs symptômes dominants. Mais cela n’explique rien quant au choix du symptôme.

 

Gisela Pankow (7) définit la psychose hystérique comme un délire non schizophrénique impliquant des troubles de la deuxième fonction de l’image du corps. Cet auteur distingue deux fonctions de 1’image du corps : la première concerne sa structure en tant que forme, c'est-à-dire en tant que cette structure exprime un lien dynamique entre les parties et la totalité, la seconde fonction de l'image du corps ne concerne plus la structure comme forme, mais comme contenu et sens. Pour Pankow cette distinction entre les deux fonctions de l'image du corps est superposable à la distinction névrose / schizophrénie, les schizophrénies étant caractérisées par une atteinte  de la première fonction, les névroses par une altération de la seconde fonction. La référence à la fonction de l'image du corps permet de souligner la problématique résolument névrotique qui caractérise les psychoses hystériques.

 

Pour étayer mon propos je vais me limiter à la présentation de cinq femmes hospitalisées dans un service de psychiatrie, et présentant des symptômes de type psychotique : délire, hallucinations, confusion mentale, etc., mais ne se laissant ranger ni dans les schizophrénies ou la paranoïa, ni dans les psychoses aiguës de type bouffées délirantes. Ce que l'on peut d'emblée constater à propos de chacune de ces malades, c'est la grande variabilité du diagnostic qui est porté sur leur pathologie. Ainsi, par exemple, Mme J.  qui a été hospitalisée pour la première fois à 18 ans présente un syndrome qualifié d' « hébéphréno-catatonie ». Elle se dit ensorcelée par sa sœur et ses compagnes de travail, elle a peur qu'on l'empoisonne, et donc ne s'alimente plus, le tout avec des épisodes de prostration semi-stuporeuse alternant avec des accès d'agitation psychomotrice. Au cours des hospitalisations ultérieures le diagnostic de schizophrénie ne fait que s'affirmer avec l'apparition d'hallucinations : Mme J. voit un crucifix chauffé au rouge et un homme avec un couteau dans le flacon de sérum, elle ressent des piqûres dans la tête et on lui envoie du gaz dans sa chambre. Les diagnostics parlent de « bouffée délirante », de « confusion mentale avec thématique délirante à dominante persécutive », puis d' « hystérie ». Lors d'une douzième admission un certificat médical note : « ... Est atteinte de troubles mentaux. Ceux-ci sont caractérisés  par : délirante chronique sur fond cyclothymique - réactivation des idées de persécution et des thèmes d'empoisonnement par le gaz - ébauche de syndrome d'influence - débile et caractérielle - hallucinations cénesthésiques - interprétations délirantes – dépressive avec idées suicidaires. Quelques manifestations hystériformes surajoutées (...) ». Le certificat de vingt-quatre heures, fait le même  jour par un autre psychiatre mentionne : « Manifestations caractérielles et névropathiques passagères chez une hystérique d'intelligence assez médiocre, suggestible et plus ou moins mythomane. »

 

Mme S., 40 ans, est hospitalisée avec un diagnostic d' « état psychotique avec ébauche d'idées délirantes, état confusionnel,  hallucinations : audiovisuelles, gustatives, et olfactives ». Cette malade se plaint de ce que sa maison est envahie par des odeurs excrémentielles. D'autre part, on lui veut du mal, on veut l'empoisonner, et elle entend des voix qui l'appellent par son prénom ou qui l'insultent (« putain »).Mme S. porte constamment des lunettes de soleil pour « fortifier son cerveau car un nerf est attaqué ». Les diagnostics ultérieurs parleront de « délire chronique de persécution » puis d' « hystérie ».

 

Mme A. est hospitalisée à l'âge de 38 ans. Depuis plusieurs jours elle se plaignait qu'on parle d'elle, puis, brusquement, un soir, elle interpelle son mari : « Tu es le docteur X..., tu vas me guérir ». Ensuite elle s'approche du berceau de son plus jeune enfant et s'apprête à lui crever les yeux. Son deuxième enfant entrant dans la pièce, elle se précipite vers lui et tente de l'étrangler. Pour expliquer son comportement, elle accuse son mari de l'avoir ensorcelée. Elle parle aussi d'empoisonnement. Lors de fréquentes hospitalisations le diagnostic de Mme A. variera entre « structure hystéro-paranoïde », « psychose hallucinatoire chronique », « schizophrénie », et « hystérie avec délire de persécution ».

 

Mme K., est hospitalisée pour la première fois à l'âge de 21 ans pour des « idées délirantes de la série mélancolique ».Elle a un comportement jugé anormal: elle reste assise la nuit sur les escaliers ou pénètre chez ses voisins par la fenêtre. D’autre part, elle est dépressive avec des sentiments d'inquiétude, d'insécurité et d’incertitude quant à l'avenir. Se succèdent les sorties et les hospitalisations. Vingt-trois ans après sa première hospitalisation le tableau clinique a nettement évolué: « ...(je cite) est comme un gros baigneur, à plat ventre dans son lit, dans un état de narcissisme complet, souriant et parlant à voix très basse, donne l'impression de clapoter dans l'eau ». S'adressant à une infirmière qui la lave, elle lui dit: « maman, lave-moi, essuie-moi, remets- moi au lit et couvre-moi bien ». Succèdent des « accès d'agitation catatonique avec rétention d'urines, refus d'aliments, répétition stéréotypée ».A cette époque le diagnostic parle de schizophrénie. Dix ans plus tard Mme K. est qualifiée d'hystérique, alors que le tableau clinique n'a guère évolué.

 

La dernière de ces malades, Mme I., 26 ans, présente un  tableau clinique dépouillé : un délire mystique s'accompagnant des  symptômes classiques de la personnalité hystérique (suggestibilité, théâtralisme, séduction, variabilité de l'humeur, revendications contre la gent masculine, etc.). L'hystérie est reconnue par le diagnostic psychiatrique, ce qui n'empêche pas Mme I., d'être qualifiée lors de sa dernière admission de psychotique. Elle fait trop folle, pour être acceptée parmi les hystériques.

 

Même sous sa forme psychotique, l’hystérique fait désordre en mettant en échec le diagnostic psychopathologique et la logique qui le sous-tend. En principe quand un diagnostic de psychose chronique est posé  le patient le conserve tout au long de son parcours psychiatrique, c’est-à-dire toute sa vie, puisqu’il s’agit là de pathologies considérées comme incurables et immuables. L’hystérique  subvertit un savoir fondé, non sur une connaissance scientifique, mais qui est une des formes que peut prendre le discours du maître.

 

Si nous nous référons aux Rorschach (8) de ces cinq malades, nous n'y trouvons aucun signe de psychose. Les résultats sont ceux d'une névrose à dominante hystérique. La productivité au Rorschach (R) est moyenne, elle varie entre 18 et 41 réponses. Les tests de niveau confirment chez ces sujets une intelligence normale, alors qu'ils sont facilement qualifiés de débiles. Le temps par réponse (T/R) est variable (entre 19 et 76 secondes). Son abaissement chez Mme I. correspond à une humeur euphorique lors de la passation du test, son augmentation chez Mmes A. et J. à une attitude défensive et une inhibition névrotique. Les temps de latence (TL) varient dans le même sens (de 6 à 58 secondes). Le nombre moyen des réponses globales (G) est de 6. On ne note ni de G contaminées, ni de G confabulées, mais quelques G- (mauvaise forme) liées à des difficultés à maîtriser certains stimuli particulièrement chargés affectivement. Le nombre de réponses de détail (D) est, dans deux cas, abaissé par rapport au nombre de G (10 D pour 10 G et 8P pour 6 G), dans deux cas, il est nettement supérieur à la proportion normale de 2 D pour 1 G (31 D pour 2 G et 23 D pour 3 G). La diminution du nombre de D correspond à un manque de persévérance dans la tâche, à une labilité de l'attention, son augmentation à une fuite dans les détails. Chez Mme K., cette fuite est confirmée par le grand nombre de réponses de petit détail (Dd=12). On ne note que peu de réponses de détail dans le blanc (Dbl et Ddbl) : 3 Dbl pour Mme I., 1 Ddbl pour Mme S., 1 Ddbl pour Mme K. Les réponses Dbl de Mme I. sont à interpréter dans le même sens que ses réponses Gbl (blanc intégré dans la tache) au nombre de 4. Elles sont l'indice d'un processus d'intégration intellectuelle de stimuli à forte charge émotionnelle (sexualité, angoisse, dépendance, agressivité).

 

La fréquence des déterminants formels (F) est supérieure ou égale à 80 , sauf pour Mme K. où il est de 66 Cette intellectualisation de l’approche des stimuli démontre une maîtrise intellectuelle des affects. Mais cette maîtrise est assez fréquemment mise échec et aboutit à des opérations  intellectuelles inadéquates. En effet, la fréquence des formes correctement perçues (F + ) est abaissée, elle varie entre 62 et 69 % Rappelons que chez un sujet dit normal, le F +  est de 80 à 90 %. Le seuil critique des F + %  est de 60, en dessous il y a présomption de psychose. Dans l’hystérie, il est de 60 à 70. Les réponses « mauvaise forme » (F -) sont des réponses émotionnellement très marquées. Nos sujets, dans des situations affectives bien  précises, perdent le contrôle rationnel de leurs affects au point d’être submergés par leurs fantasmes.

 

La pauvreté des protocoles en réponses kinesthésiques (K =0 ou 1) traduit un refus d’identification aux formes humaines vues dans le Rorschach en ce qu’elles sont perçues, non  comme morcelantes au sens du corps morcelé du schizophrène, mais comme paradigme de la castration. Par rapport à l’idéal hystérique, aucune forme humaine n’est assez belle, assez parfaite, pour susciter l’identification. Les kinesthésies mineures (k) sont tout aussi rares. Les deux kinesthésies animales de Mme S. expriment une sexualité infantile, il en va de même pour l’unique kinesthésie animale de Mme I..

 

Les réponses incluant la couleur sont supérieures en nombre aux réponses kinesthésiques. Leur somme (Total C) varie entre 1 et 4,5. Dans leur majorité les perceptions sont bonnes (FC+ et CF+), ce qui montre que quand les affects peuvent s’exprimer librement, leur maîtrise est conservée. Là encore, dans la majorité des cas, l’organisation affective tend vers l’hystérie (CF + C supérieures à FC). Remarquons que chez Mme S. les nominations de couleur (Cn) correspondent à une épilepsie confirmée  par électroencéphalogramme, et que la réponse C- (mauvaise perception uniquement déterminée par la couleur de la tache) de Mme A. résulte d’une réaction phobique liée à sa problématique personnelle (« la gale »). Que les affects inhibés amènent une perturbation dans les opérations intellectuelles, va dans le sens d’une pathologie névrotique. A l’exception d’un protocole, les réponses incluant l’estompage sont rares, ce qui est en rapport avec une attitude générale où domine la superficialité, une non implication d’origine défensive. Les deux réponses de Mme K. où le stimulus « estompage » prédomine (EF) expriment, l’une une relation régressive, l’autre une préoccupation somatique. Ses réponses « estompage » à dominante formelle (FE = 7) expriment une tension anxieuse liée à la castration, ou à la dévoration, ou encore à des problèmes identificatoires de type hystérique. On ne note qu’une seule réponse « clair-obscur » à forme prédominante (F Clob) dans les cinq protocoles. D’une manière générale, l’angoisse s’y exprime davantage par une augmentation du temps de latence que par une réponse élaborée symboliquement (inhibition de l’angoisse).

 

Le type de résonance intime (TRI=K/total.C.) est de forme extratensive ( total C supérieur à K), ce qui dénote d’une vie affective tournée vers le monde extérieur. Le pourcentage des réponses humaines varie entre 5 et 19 %, avec une moyenne de 13 %. Les difficultés identificatoires n’ont donc pas inhibé la capacité à établir des relations humaines (globalement  les réponses « humain vu en entier » sont supérieures aux réponses partielles  Hd). Le pourcentage des réponses animales est normal (de 33 à 53 %). Le nombre de réponses banales varie entre 4 et 7. Tous ces éléments dénotent de la présence d’un conformisme social étranger à l’expression schizophrénique.

 

Le contenu des réponses nous livre de nombreux éléments hystériques (masques, personnages déguisés ou cachés, etc.) et oraux(oiseaux qui mangent les hommes ou s’embrassent, négresses qui cuisent les blancs, ogre, etc.). De même, les problématiques identificatoires et sexuelles sont manifestes.

 

Aux Rorschach de ces cinq patientes  n’apparaît donc aucun signe de psychose si l’on entend par là une perturbation non névrotique du rapport à la réalité. Non névrotique, car les névroses elles aussi perturbent le rapport à la réalité par les fantasmes et les fixations  infantiles. Mais, à la différence des psychotiques, les névrosés restent inscrits dans un monde de différences structurées par les lois du langage. Les Rorschach nous montrent que dans la psychose hystérique il n’y a pas de perturbation psychotique du rapport à la réalité. Il s’agit d’une structure psychopathologique névrotique. Le problème est comparable à celui des symptômes corporels des hystériques, lesquels symptômes sont démentis par les investigations somatiques. Aux symptômes de conversion somatique qui ne sont étayés par aucune affection organique correspondent les symptômes psychotiques qui ne sont étayés par aucune structure mentale de type psychotique. Il  est donc possible de dire que la psychose hystérique comme entité psychopathologique autonome n’existe pas, ce n’est qu’une des formes que peut prendre l’hystérie.

 

Si nous faisons la distinction entre structure psychique et symptomatologie, l’hystérie à symptômes psychotiques se donne comme une névrose à conversion psychotique, une structure hystérique produisant des symptômes d’apparence psychotique dont il faut tenter de préciser le mode d’élaboration.. Dans « L’interprétation des rêves » (1900) Freud cite le cas d’un enfant de douze ans, qualifié d’hystérique, et qui ne peut s’endormir, terrifié par « des visages verts avec des yeux rouges ». « La source de ce phénomène, écrit Freud, est le souvenir réprimé, mais autrefois conscient, d’un enfant qu’il voyait souvent il y a quatre ans, et qui lui offrait l’image repoussante de nombreuses mauvaises habitudes d’enfant, entre autres de l’onanisme, qu’il se reproche à lui-même maintenant de façon rétrospective. La maman avait remarqué à cette époque que cet enfant mal élevé avait le teint verdâtre et les yeux rouges (8) ». L’hallucination hystérique s’analyse comme retour du refoulé, projection à l’extérieur, à des fins défensives, de la représentation refoulée.

 

Dans l’hystérie l’objet hallucinatoire garde son statut de signifiant. Prenons l’hallucination verbale de Mme S. : on la traite de « putain ». Le signifiant « putain » ne présente chez elle aucune altération dans le registre du langage. Il s’agit là d’un auto-reproche projeté au dehors, et l’hallucination disparaît avec l’intégration dans la conscience de la culpabilité. A l’inverse, dans les psychoses, l’objet hallucinatoire perd son statut de signifiant. Tel patient présentant une schizophrénie paranoïde a des hallucinations visuelles et olfactives de « rose » : il a fréquemment une apparition de couleur rose et sent un parfum de roses. De cette hallucination, une première chaîne d’associations va nous mener aux pulsions anales dont l’hallucination est la satisfaction, par le passage dans le réel, de l’expression métaphorique « ça (ne)sent (pas)la rose » pour parler de l’odeur des excréments. Mais le rose, c’est aussi, pour ce patient, la couleur de la viande et celle des enfants que l’ogre dévore. Tous les objets ayant comme propriété la couleur rose sont indifférenciés : le cochon rose, la fleur « rose », le sexe rose, la langue rose, le Parti Socialiste, la robe rose de la mère, la jeune fille du nom de Rose, les dragées roses du baptême, etc. Tous ces objets ont perdu leurs traits distinctifs pour être regroupés sous le signifiant flottant « rose ». Toutes les zones érogènes : lèvres, anus, verge etc. sont in-différenciées. De même le cochon rose est in-différencié de l’évêque Cauchon qui a fait brûler Jeanne d’Arc.

 

L’hallucination psychotique, comme satisfaction des pulsions, est fondée par la forclusion des traits différentiels, alors que  l’hallucination hystérique reste inscrite dans l’ordre mis en place par le langage, il y a liaison symbolique entre le refoulé et l’objet hallucinatoire, et non in-différence comme dans la schizophrénie. Katan (9) introduit une autre distinction entre hallucination hystérique et hallucination psychotique. L’hallucination hystérique, au service de la réalité, est un mécanisme de défense du moi contre le ça, l’hallucination psychotique, au contraire, élabore une néo-réalité délirante et procède d’une régression au stade où le ça et le moi sont indifférenciés et l’opposition moi - non-moi réduite à l’état d’ébauche. Cette distinction va dans le sens d’une conception de l’hallucination hystérique comme retour du signifiant refoulé et de l’hallucination psychotique comme passage dans le réel d’un signifiant qui a perdu ses fonctions différentielles et différenciatrices.

 

Le délire hystérique diffère du délire psychotique, le sujet n’y occupe pas la même position. Prenons Mme I., elle dit qu’elle est une sainte et qu’elle va, dès sa sortie de l’hôpital, entrer dans la police pour séparer le bien du mal ; elle dit porter un survêtement et des bottes parce que son uniforme n’est pas encore prêt. Mes  entretiens avec cette dame permettent de préciser ce qu'elle entend par « sainte » : « c’est une personne qui ne fait que du bien, dit-elle, la fille préférée de Dieu ». Puis elle me parle de son enfance, qu’elle a été la préférée de son père, ce qui avait rendu sa mère jalouse. Donc une problématique oedipienne et une fixation à des rêves d’enfant. Il n’y a pas entre Mme I. et son identité délirante cette absence de distance qu’il y a dans les délires psychotiques, l’identification reste inscrite dans l’ordre du symbolique. A l’inverse, dans la schizophrénie, les différences mises en place par le langage sont inopérantes et rien ne sépare le sujet de l’énonciation du sujet de l’énoncé, le créateur de sa créature. Le  sujet de la schizophrénie n’est pas identifié par un signifiant, il est identifié au référent tombé dans le champ du réel. Pareillement, il n’y a pas dans la paranoïa, entre le persécuteur et le persécuté, de liaison symbolique, le persécuteur est l’image du persécuté, sans médiation symbolique. Donc du côté de l’hystérie on a une identification à un signifiant inséré dans le réseau des signifiants et du côté de la psychose on a une image qui a perdu son statut de signifiant et qui est le reflet d’un objet auquel le sujet de la psychose est identifié.

 

Les délires et hallucinations que l’on peut rencontrer dans l’hystérie se donnent clairement comme des symptômes névrotiques, mais pourquoi convertir dans des symptômes d’apparence psychotique  plutôt que dans des symptômes d’apparence corporelle ? Le symptôme hystérique se constitue en deux temps : le refoulement de la représentation intolérable pour le moi, puis le retour du refoulé, constitutif du symptôme  proprement dit comme satisfaction substitutive du désir inconscient. Freud ne cesse d'insister sur la fonction de l'identification dans la mise en forme du symptôme hystérique. Dans "L'interprétation des rêves" il écrit : « L'identification est un facteur très important dans le mécanisme de l'hystérie. C'est grâce à ce moyen que les malades  peuvent exprimer par leurs manifestations morbides les états intérieurs d'un grand nombre de personnes (...) (10) ». C'est par l'identification à l'autre, à ses symptômes et à ses fantasmes, que s'exprime la parole  inconsciente, le désir de l'hystérique. L'analyse de Dora (11) (1905) illustre bien la fonction de l'identification dans la mise en forme du symptôme hystérique. Ainsi, la patiente de Freud a souffert au cours de son histoire d'une pseudo-appendicite  par identification à l'image clinique de cette maladie telle qu'elle était décrite dans un dictionnaire consulté après l'annonce de l'appendicite d'un de ses cousins. « Dora, écrit Freud, s'était ainsi fabriquée une maladie dont elle avait lu la  description dans le dictionnaire (12) ». Sauf que ce n’est pas une maladie que Dora s’est fabriquée, mais des semblants de symptômes, dont on peut dire qu’elle les imite inconsciemment au sens d’une interprétation inconsciente d’un rôle au théâtre, dans ce cas précis, celui  d’un malade atteint d’appendicite. Mais dans quel but ? Les symptômes d’apparence somatique sont l’expression symbolique d’une parole refoulée. Ca parle à travers le corps et ce qui ne peut pas se dire à travers le verbal se dit à travers des dysfonctionnements corporels sous une forme voilée.

 

L’ambiguïté du symptôme hystérique apparaît bien dans un symptôme comme la paralysie hystérique. Un membre perd sa mobilité, et il ne s’agit pas d’un faire semblant conscient, d’une simulation consciente, le patient vit sa paralysie comme réelle De la même manière dans la cécité hystérique le patient ne voit pas. Mais dans les 2 cas il n’y a ni lésion ni dysfonctionnement somatique qui en soient la cause. On pourrait dire qu’il y a  un symptôme à expression corporelle sans maladie organique. Dire que la cause est psychique, c’est alors se référer à un traumatisme ou une parole inconsciente qui s’exprime à travers le symptôme. Mais ce symptôme est aussi satisfaction de désirs. Et il est produit par identification. Il n’est pas faux de dire que l’hystérique inconsciemment joue un rôle comme au théâtre, mais tout se passe comme si elle avait oublié (refoulé) que c’était un jeu ou un je théâtral, un peu comme les petits enfants qui à un moment donné peuvent oublier qu’ils jouent. Cette dimension de jeu, d’interprétation d’un rôle, d’identification se retrouve dans la production des symptômes d’apparence psychotique. D’où l’impression de facticité qui va faire penser à une simulation.

 

Le sujet de l’hystérie va se déguiser en fou du roi pour énoncer sa parole de vérité. Cette parole maquillée en folie s’adresse à un Autre et a un sens, en tant que retour du refoulé elle appelle une interprétation. A une autre époque, l’hystérique qui interprétait le rôle d’une possédée avait de fortes chances de finir sur un bûcher, actuellement il est probable qu’elle soit diagnostiquée comme psychotique. Ce n’est pas le sujet de l’hystérie qui est fou mais le rôle qu’il interprète, et bien sûr fou en fonction de nos critères. Prenons les voix que Jeanne d’Arc dit avoir entendues et qui pour elle prouvent qu’elle a été choisie par Dieu pour sauver la France. A son époque cela pouvait être considéré comme vraisemblable  et les événements qui suivirent ont pu être considérés comme pouvant la vérité de ses dires. L’époque moderne qui a élaboré d’autres savoirs parlera d’hallucinations et de délire mystique. Une autre hypothèse me semble plus probable. Celle d’une stratégie inconsciente pour se faire entendre à une époque où la voix d’une bergère comptait peu, mieux valait endosser un autre rôle, celui d’une élue de dieu que la psychiatrie transformera en rôle d’hallucinée, mais en bonne compagnie avec Socrate, Mohammed, Luther, Pascal, Napoléon, Goethe…(13).

 

Quelle est la part du discours et de l'institution psychiatriques dans cette élaboration par l'hystérique de symptômes d'apparence psychotique ?  On sait que Bleuler a bâti son concept de schizophrénie sur ceux de l’hystérie et de la démence précoce. Il parle de schizoïdie pour qualifier ce que Freud  et Breuer appellent dissociation hystérique de la conscience. Pour lui la schizophrénie ne diffère de l’hystérie que par un degré plus important de Spaltung (14).Et cette tendance à psychotiser les manifestations hystériques  est très présente dans le diagnostic. Dans l’idéologie et le savoir psychiatriques folie rime avec psychose, le névrosé lui est plus ou moins considéré comme symbolisant une certaine normalité. Mais le fou c’est l’Autre qui fait peur, et quand les manifestations névrotiques dépassent une certaine intensité il est plus facilement supportable de le qualifier de psychotique.

 

A travers ses symptômes l’hystérique attire le regard mais en même temps il se cache derrière eux ; double fonction du masque. Face à l'institution médicale l'hystérique ne trouve entendeur qu'à parler le langage des malades organiques, face à l'institution psychiatrique  sa parole ne peut  se dire que derrière une symptomatologie ayant valeur dans une institution psychiatrique qui n’était pas conçue pour soigner l’hystérie (je rappelle qu’on était dans les années 70), qui bien évidemment s’emploie à mettre en échec le désir du thérapeute puisqu’il s’agit de lui faire avouer sa castration.

 

De nombreux auteurs ont souligné l'influence socio-culturelle dans la mise en forme du symptôme hystérique. Ilza Veith écrit à ce propos : « Avec le développement des connaissances sur les réactions de conversion et de popularisation de la littérature psychiatrique, les expressions somatiques à l'ancienne mode de l'hystérie sont devenues suspectes dans les classes plus cultivées ; aussi la plupart des médecins observent-ils que les symptômes de conversion manifestes sont devenus aujourd'hui très rares et que, si l'on en rencontre parfois, c'est dans les classes non instruites de la société. Ainsi, l'hystérie n'est plus profitable au sujet, elle n'atteint plus son but (15) ». Comme le développement des techniques d'investigation somatique a  largement contribué à démasquer l'hystérique derrière ses symptômes corporels, il lui a fallu trouver de nouvelles voies de conversion. Pierre Deniker fait le même constat : « II existe, semble-t-il, une véritable transformation moderne de l'hystérie dont la symptomatologie tend à s'appauvrir et à devenir moins typique alors même que l'évolution devient traînante et peut aboutir à des invalidités sociales de longue durée (16) ».

 

L’élément moteur du mimétisme hystérique est la demande de l’autre auquel l’hystérique s’identifie. Et dans la conversion dans des symptômes d’apparence psychotique c’est à l’institution psychiatrique tout entière que s’identifie l’hystérique, une institution qui était alors entièrement construite autour de la psychose. L’hystérie amène le sujet à devenir, du moins en apparence, ce qu’on voit en lui. Par ailleurs l'enfermement des hystériques dans un service hospitalier pour psychotiques favorise l'identification  aux symptômes des psychoses. On se souvient de l’expérience de Charcot qui, comme certains bâtiments de la Salpêtrière  tombaient en ruines, transféra les épileptiques et les hystériques dans les mêmes sections. Les hystériques se mirent alors à imiter toutes les phases des crises d'épilepsie, et Charcot, ne reconnaissant pas immédiatement cette imitation, crut se trouver en face d'une nouvelle entité clinique qu'il appela « hystéro-épilepsie ». C'est sur le même modèle, me semble-t-il qu'a été élaboré le concept psychose hystérique.

 

Dans « Asiles » (17),  Goffman étudie longuement les processus de dépossession imaginaire et symbolique auxquels sont soumis les malades mentaux lors de leur hospitalisation. A cette perte d'identité succède une restructuration imaginaire et symbolique des malades conformément aux exigences institutionnelles. Michel Foucault (18) a étudié la relation thérapeutique dans la psychiatrie du XIXème siècle comme relation de pouvoir. Mais en 1970/80 rien n’avait vraiment changé, c’est de plus tard que date l’humanisation des hôpitaux psychiatriques. Le but du soin reste avant tout d’ inhiber les symptômes, et non d’écouter la parole et d’essayer de lui donner un sens par rapport à l’histoire et au désir d’un sujet en souffrance.

 

L'analyse des entretiens psychiatriques des patients souffrant d’une névrose hystérique diagnostiquée comme psychose permet de relever quelques glissements significatifs. Ainsi le « on ne m'aime pas » de l'hystérique peut être entendu comme le « on me persécute » du paranoïaque. La crise hystérique est parfois qualifiée de catatonie, la psychasthénie (Janet) de schizophrénie, et la dépression de mélancolie atypique. De même, la limite entre la mythomanie et le délire pouvant ne pas être évidente, le diagnostic différentiel semble procéder de la seule intuition du praticien. Il y a, au sein de l'institution psychiatrique, suspicion de psychose. Et à cette quête de symptômes psychotiques, quête qui a pour l'hystérique fonction de demande, répond l'offre de symptômes d'apparence psychotique. Que le regard du psychiatre crée les symptômes de l'hystérique apparaît à propos de nos cinq observations, autant dans le fait que la symptomatologie de l'hystérique varie en fonction de l'interlocuteur que dans la variation du diagnostic à propos d'une même symptomatologie.

 

Si l’hystérique jouit de ses symptômes, à travers eux elle se donne à la jouissance de L’Autre, jouissance à laquelle elle se dérobe pourtant, finissant martyr dans les arènes de Rome ou sorcière sur les bûchers de l’inquisition.

 

D’un côté nous avons l’institution psychiatrique qui a pour modèle de la folie la psychose sous ses différentes formes. Cette folie psychotique, l’institution psychiatrique a pour mission de la soigner, même sous la contrainte.  Dans un premier temps il fait diagnostiquer le fou. Pour cela il y a l’interrogatoire psychiatrique qui à travers de multiples questions recueille les signes de la folie. Un individu d’intelligence tout à fait moyenne interné en psychiatrie comprend vite que s’il répond « oui » aux questions « est-ce qu’il y a quelqu’un qui vous veut du mal ? » ou « entendez-vous des voix », il risque l’hospitalisation et le traitement sous contrainte. Alors pourquoi l’hystérique répond-il « oui » à ces questions alors même qu’une personne atteinte d’une grave schizophrénie finit par arriver à les déjouer et à dissimuler ses symptômes ?

 

Ce que demandaient tous ces patients hospitalisés, c’était leur sortie, leur liberté. Et ils étaient là enfermés, certains depuis de longues années. Demander leur liberté et faire tout pour être enfermés, jusqu’à simuler inconsciemment la folie ? C’est difficile à croire. Difficile à comprendre comme les crises faites à la demande de Charcot. Une des caractéristiques de l’hystérique c’est de faire sien le désir de l’autre, l’identification hystérique c’est d’abord l’appropriation du désir de l’Autre, en l’occurrence de l’institution psychiatrique : tu veux de la folie, en voilà.

 

L’institution psychiatrique n’est plus ce qu’elle était. A mesure qu’elle s’est humanisée, qu’elle est devenue moins désubjectivante et moins hostile au malade, qu’elle a voulu aider plutôt que d’enfermer, les hystéries à symptomatologie psychotique ont apparemment disparu. Un regard plus humain rend manifestement moins fou. Est-ce que le théâtre de la folie était le dernier refuge de la subjectivité de l’hystérie dans la logique de l’enfermement asilaire d’une époque révolue ? Quant à moi, j’avais appris dans cette recherche que l’environnement, la réalité vécue, le présent jouent, en plus de l’histoire individuelle et de la structure psychique, un rôle important dans la production ou la mise en forme des symptômes, leur aggravation ou leur atténuation. Et que les institutions qui se proposent de soigner les troubles psychiques gagneraient à s’interroger d’abord sur leur propre fonctionnement, sur les conditions à remplir pour ne pas être pathogènes.

 

 

 

(1) Oury Jean, La psychothérapie, de Saint-Alban-sur-Limagnole à La Borde , conférence faite à Poitiers le 15 mars 1970.

(2) Breuer J. et Freud S., Etudes sur l’hystérie, 1895, PUF 1956.

(3) Breuer J., ibid p 202.

(4) Freud S., ibid p 211.

(5) Porot A., Manuel Alphabétique de Psychiatrie, PUF 1975, p 329.

(6) Follin S., Chazaud J., Pilon L., Cas cliniques de psychoses hystériques,

Evolution Psychiatrique, XXVI avril-juin 1961, pp 257-86, citation pp 285-6.

(7) Pankow G., L’image du corps dans la psychose hystérique, RFP 1973, 37, 3, pp 415-38.

(8) Freud S., L’interprétation des rêves, PUF, 1967, p 463.

(9) Katan M., Rêve et psychose : leur rapport avec les processus hallucinatoires, RFP, 1961, 4-5-6, pp 681-700.

(10) Freud S., L'interprétation des rêves, p 136.

(11) Freud S., Fragment d’une analyse d’hystérie, (Dora), Cinq psychanalyses, PUF 1967.

(12) ibid. p 76.

(13) Medlicott RW (1958), An inquiry into the significance of hallucinations with special reference to their occurrence in the sane. International record of Medicine 171 : 664-677.

(14) Allen D., Macary P. (2003) : Eléments pour une histoire du syndrome de Ganser : comment l’hystérique devint schizophrène, Information psychiatrique, 79, 4, 325-334.

(15) Veith I, Histoire de l'hystérie, Seghers 1973, citation p 265.

(16) Deniker P., Les formes paucisymptomatiques de l'hystérie,Confrontations Psychiatriques, 4, 1969.

(17) Goffman E., Asiles, Ed. de Minuit 1968.

(18) Foucault Michel, Le Pouvoir psychiatrique. Cours au Collège de France (1973-1974), Gallimard Seuil, 2003.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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