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Les troubles des conduites de Maurice

 

 




Les "troubles des conduites"  de Maurice, 5 ans et demi

 

Claude Kessler

(2014)

 

 

 

 

       " C’est donc très vulgairement que la philosophie pose à la psychologie la question : dites-moi à quoi vous tendez, pour que je sache ce que vous êtes ? Mais le philosophe peut aussi s’adresser au psychologue sous la forme – une fois n’est pas coutume – d’un conseil d’orientation, et dire : quand on sort de la Sorbonne par la rue Saint-Jacques, on peut monter ou descendre ; si l’on va en montant, on se rapproche du Panthéon qui est le Conservatoire de quelques grands hommes, mais si on va en descendant on se dirige sûrement vers la Préfecture de Police."

                                     Georges Canguilhem “Qu’est-ce que la psychologie ?” Conférence prononcée le 18 décembre 1958 au Collège philosophique à Paris. Parue dans Revue de Métaphysique et de Morale, n°1, 1958, Paris.                    

  

 

 " Je propose que la seule chose dont on puisse être coupable, au  moins dans la  perspective analytique, c’est d’avoir cédé sur son désir. "                        

                                             Jacques Lacan,  Le Séminaire, livre VII, séance du 29 juin 1960.      


 

Si la notion de "trouble des conduites" chez l'enfant et l'adolescent vient souligner une fois de plus la dimension socioculturelle et politique, voire mercantile, de ce qu'une société peut considérer comme relevant ou non de la pathologie mentale, elle interroge aussi la participation de cette même société à la genèse de comportements caractérisés par un non-respect répété et persistant des règles établies et de la personne d'autrui. Ceci, d'abord, par la confrontation directe de l'enfant et de sa famille à certains aspects de l'organisation sociétale  : on connaît, par exemple,  les effets délétères de la pauvreté, de la précarité et de l'exclusion. Ensuite, par les représentations que cette société peut donner d'elle à ceux qui l'habitent, soit par leur expérience personnelle, soit par les représentations qu'en charrient les médias et autres relais d'information. Même si on ne peut pas affirmer qu'une société fabrique ses délinquants, il n'en reste pas moins vrai qu'elle peut y participer largement en offrant un terrain   favorable : cela évidemment par les souffrances et les haines que son fonctionnement peut induire, mais, plus prosaïquement, en n'offrant pas un étayage suffisant à des personnes fragilisées.   

Nous n'insisterons pas  sur les considérations éthiques inévitables dès qu'il est question de socialisation et d'adaptation, sauf à dire quelques mots de la transmission des attitudes individuelles ou groupales face à  la loi et à la personne d'autrui. Si les adultes transmettent aux enfants, et les enfants entre eux, des règles à respecter, ils leur enseignent aussi comment les respecter. Il y a toujours eu ceux qui, confrontés aux limites imposées par la loi, se réunissaient pour réfléchir aux moyens de les contourner, de préférence dans la légalité. Entre ce que les adultes disent et ce qu'ils enseignent par leurs comportements, les enfants se trouvent vite assaillis d'informations et d'exigences contradictoires qui prennent tout leur poids par l'investissement affectif des relations qu'ils entretiennent avec les personnages importants de leur existence. D'autre part, si l'environnement sociétal joue un rôle important à tout âge par ce qu'il transmet, il tient aussi son efficience  par ce qu'il peut venir répéter des  désillusions et des souffrances de l'enfant, ou au contraire lui apporter d'espoir. Mais nos civilisations modernes laissent  à des "spécialistes" le soin de remédier au mal-être  qu'elles peuvent  générer et entretenir.  

 

Même si un  enfant ne fait que tardivement la différence entre un commandement, une règle établie ou une loi, il sait que ce qui est attendu de lui c'est qu'il obéisse. Mais pourquoi obéirait-il, et pourquoi ne le ferait-il pas ? Au nom de quoi renoncerait-il aux satisfactions vers lesquelles ses pulsions et ses désirs l'entraînent, si ce n'est dans l'espoir d’une satisfaction plus grande représentée par l’amour de ses parents qu’il pense obtenir en leur présentant une image idéale. Avec l'âge, ce mode de fonctionnement va être intériorisé et refoulé, il constitue alors la base de ce que l’on appelle le "sens moral ". Une telle dynamique intersubjective n'est évidemment concevable que dans le cadre d'une structuration symbolique opérante, c'est-à-dire hors psychose et perversion. La loi se confond alors avec l'ordre symbolique qui seul peut fonder une structure qu'elle soit individuelle, groupale ou sociétale, et  de ce point de vue, mais uniquement de ce point de vue, ce que disent les lois est secondaire.

 

Mettre le terme de "trouble" au singulier plutôt qu'au pluriel n'est pas indifférent. Le singulier peut laisser supposer que nous soyons en présence des manifestations d'un processus morbide unique, ou du moins d'une collection homogène de comportements, alors qu'il n'en est rien.  En ce qui concerne les comportements prédélictuels, une distinction s'impose entre ceux qui révèlent un défaut de symbolisation de l'interdit, ceux qui sont le résultat d'un code de conduite différent du code officiel  ou encore ceux qui expriment une révolte, parfois haineuse et destructrice. Quant aux attitudes de soumission ou d'insoumission, les significations inconscientes qu'elles peuvent prendre, n'épuisent en aucun cas leur sens.  Le rejet de l'autorité est souvent  un moyen pour  l'enfant de se venger et de régler ses comptes avec ses parents ou leurs substituts. Parfois, les "désordres" sont plus modestement un moyen d'attirer l'attention pour un enfant qui se sent délaissé,  ou un signal de détresse.  Quant aux actes sadiques, qui peuvent être occasionnels ou habituels, il faut leur réserver une place à part.    

 

Qualifier de pathologique une manière d'être qui ne respecte pas les droits et la personne d'autrui, ne peut qu'étonner sachant que l'instrumentalisation et le mépris de l'autre  sont largement la norme dans nos sociétés qui ne connaissent comme valeur certaine que l'enrichissement. Il suffit de suivre une émission télévisée d'investigation consacrée à la vente et à la production des denrées alimentaires ou à la pollution industrielle pour être convaincu que la loi et la santé d'autrui ne font pas le poids face à la volonté d'enrichissement. Et apparemment il en est ainsi dans tous les domaines.  Ajoutons à cela ce que nous savons des conditions faites aux personnes âgées, handicapés, malades mentaux, etc., ainsi que le racisme, la xénophobie ou le harcèlement moral que certains semblent considérer comme étant la panacée en matière de  gestion humaine dans le monde du travail, etc., pour se rendre compte que le respect d'autrui est devenu une attitude exceptionnelle, mais cela, on préfère l'oublier. Ce sont parfois les enfants qui, par leurs questions, viennent bousculer notre angélisme. "Papa, d'où vient la loi ?", demande une fillette qui, dans le cadre du Cm2, prépare un exposé sur l'histoire coloniale. Évidemment l'impact n'est pas le même selon que le père lui répond que la loi a été donnée aux hommes par dieu ou qu'elle est l'expression d'un consensus, ou encore qu'elle est un instrument d'asservissement et d'exploitation aux mains des plus forts.  

 

Quand des enfants, de plus en plus nombreux, nous dit-on, n'obéissent pas aux adultes ou le font quand ils l'ont décidé, et ne respectent pas les règles établies, narguant ouvertement les représentants de l'autorité, les premiers à être incriminés sont évidemment les parents qui sont supposés avoir échoué dans leur mission éducative. Ensuite, c'est parfois la psychanalyse et ses principes éducatifs jugés trop laxistes par une certaine psychiatrie qui se retrouvent sur le banc des accusés. Ceux qui pensent l'éducation des enfants de nos jours proposent facilement comme remède  le retour à des attitudes hyper-autoritaristes et répressives. Mais peu s'interrogent sur le statut de la loi dans nos sociétés et les effets pathogènes d' une réalité peu conforme aux discours officiels, dans l'évolution du comportement des enfants.  A l'adolescence, la prise de conscience de la réalité du fonctionnement sociétal, facilitée par les informations transmises par les médias, aura les mêmes effets délétères que la découverte des défaillances parentales ou la crise d'athéisme.

 

Le discours psychiatrique fait de comportements qualifiés traditionnellement de perturbateurs, méchants ou rebelles, voire prédélinquants, asociaux ou pervers, "une pathologie médicalement repérable", "une entité morbide" (pour reprendre les termes de l'Expertise Collective de l'Inserm de 2005). Pourquoi ? Une des réponses est sans doute la tentation impérialiste d'une  médecine dont le rôle dépasse largement la fonction thérapeutique, et qui tire profit d'une collectivité voulant se déresponsabiliser. D'où un discours psychiatrique qui reflète plus les rapports de force existant au sein de la société qu'un quelconque savoir scientifique. Une fois établie la liste des comportements qualifiés de pathologiques, il suffit de convaincre les parents que  leurs enfants sont malades, c'est d'ailleurs souvent ce qu'ils ont envie d'entendre. Il n'en demeure cependant  pas moins  vrai que les "troubles des conduites" peuvent être l'expression d'une importante souffrance psychique et qu'ils sont un problème réel pour l'enfant et son entourage, et ceci pas uniquement parce que la scolarité risque de s'en trouver sérieusement perturbée. C'est l'échec des réponses éducatives traditionnelles qui a amené à y associer d'autres prises en charge comme la prescription de neuroleptiques et les traitements psychothérapiques. On aimerait simplement un soin psychopsychiatrique qui ne se réduise pas  à gérer  l'enfant  en complément  des actions de l'école et des institutions spécialisées. 

 

La  notion de trouble mental a toujours été fluctuante, et elle l'est de plus en plus. Nous sommes passés en un demi-siècle d'une soixantaine de "mental disorders"  à plus de trois cent cinquante définis  selon des critères largement arbitraires et conventionnels : un groupe d'experts se réunit et définit les comportements qui vont être qualifiés de morbides. Le choix est purement sociétal et sans aucune base scientifique pour la plupart d'entre eux. Dire ce qu'il en est du soin de tels troubles ne peut donc être que problématique. Comme nous sommes dans un champ médicalisé, la notion de soin pourrait être supposée avoir quelque lien avec celle de guérison. Or, comme dans l'état actuel de nos connaissances, on ne sait pas guérir les maladies mentales (parfois, même souvent, elles guérissent spontanément, du moins si des "soins" hasardeux ne viennent pas entraver cette évolution), il reste l'idée d'actions pouvant contribuer éventuellement à améliorer l'état de santé du patient et atténuer sa souffrance, projets s'ajoutant alors à ceux de normalisation et d'adaptation, quand ce n'est pas de docilité et de soumission.

 

Autre élément important : de nos jours les enfants et les adolescents soignés en psychiatrie de l'enfant sont indifféremment pris en charge par des psychiatres, des infirmiers, des éducateurs ou des psychologues, et ceci indépendamment de leur formation ou de leur expérience. Une exception à cela : seuls les psychiatres prescrivent des médicaments, mais pour combien de temps encore ? La notion de transfert des compétences semble particulièrement extensible, surtout quand il s'agit de soigner les plus démunis. Mais cela n'est en rien propre à la psychiatrie. Pour les psychologues, la question est de savoir ce qu'ils peuvent proposer d'autre qu'une psychiatrie au rabais pour satisfaire aux exigences d'une politique qui, sous prétexte d'une rationalisation des dépenses de santé, propose un ersatz de médecine  pour une France d'en bas de plus en plus étendue.

 

Face à l'efficacité des psychotropes – mais efficaces en quoi ? – celle des psychothérapies et des autres soins psychologiques peut paraître bien illusoire dans un domaine où l'illusion peut cependant avoir des effets thérapeutiques, comme le montrent l'efficacité des techniques de suggestion ou encore l'effet placebo. Dans ce même domaine, les religions illustrent bien les effets psychologiques et thérapeutiques de la foi. Nous sommes loin de l'époque où la psychanalyse était la référence incontournable de toute démarche psychothérapique. Ce qui se fait actuellement en la matière  relève essentiellement, comme pour l'ensemble des soins psychopsychiatriques, de la rééducation mentale et comportementale, voire de la suggestion et de la manipulation. Dans un nombre croissant d'institutions psychiatriques, CMP et services d'hospitalisation, il est de bon ton de reprendre le slogan de ces ténors  de la Faculté qui affirment que "la psychanalyse n'a pas sa place dans le service public", ce qui permet à l'occasion de justifier des conditions matérielles et relationnelles de travail peu favorables à la mise en place d'un espace psychothérapique. Nous assistons alors à une régression qui remet au goût du jour certains aspects du traitement moral tel qu'un Leuret pouvait le concevoir, et qui fait de la psychiatrie de l'enfant une "mauvaise" psychiatrie adulte appliquée aux enfants.

 

Penser la psychothérapie comme différente d'une technique de rééducation mentale ou de suggestion, c'est se référer inévitablement à la cure analytique  avec un objectif qui n'est plus d'inhiber les manifestations pathologiques, de les voiler ou de les maîtriser, mais de permettre au patient de les abandonner, de les déposer comme on dépose les armes (Freud parlait de "psychonévroses de défense").

 

Maurice a 5 ans et demi quand je le rencontre pour la première fois. Ses parents sont séparés depuis 3 ans  et ont des relations difficiles dont l'enjeu apparent est la garde des enfants. Le  père se dit déçu d'une justice qui a confié Maurice et sa sœur, Lola, âgée de 7 ans, à leur mère alors que celle-ci présente depuis longtemps un comportement profondément perturbé oscillant entre dépression et états d'excitation.

 

L'enfant est décrit comme étant susceptible et colérique, peu respectueux des règles établies, avec des attitudes d'opposition et de provocation, et pouvant se montrer facilement violent avec les autres (enfants et adultes). Son travail scolaire est irrégulier et les enseignants pensent qu'il a des problèmes de concentration. La mère dit qu'elle a beaucoup de difficultés à se faire obéir et à gérer les rivalités qui opposent ses deux enfants. Maurice serait "manipulateur" et irait jusqu'à se mordre pour en accuser sa sœur, mais celle-ci userait des mêmes stratagèmes. Les parents ne cachent pas que leurs enfants ont été les témoins de violences importantes lors de leur séparation.

 

Une psychothérapie est proposée à Maurice en sus d'un suivi familial mené par une psychiatre et un infirmier. Ultérieurement l'enfant sera mis sous neuroleptiques du fait d'un comportement violent et inadapté à l'école et à la maison. 



Entretien 1

 

C'est mon premier entretien en tête à tête avec Maurice. Je l'ai rencontré précédemment avec sa mère et son père pour que nous fassions connaissance et que je puisse présenter ma manière de travailler. La famille est déjà engagée depuis plusieurs semaines dans un suivi familial. L'enfant ne semble pas hostile à l'idée d'entreprendre une psychothérapie et les parents se disent prêts à le soutenir dans cette démarche.

 

Ce travail débute donc dans de bonnes conditions, ce qui n'est  pas toujours le cas.

 

L'enfant me raconte qu'il a été battu par trois élèves, "des méchants", dit-il. Puis il me dessine "un portrait avec un monsieur qui le regarde en haut d'un escalier". Ce portrait  représente une fille et un garçon jouant au ballon. Il précise qu' il s'agit de lui et de sa sœur. "Moi et ma sœur on est des images dans le portrait. Le spectateur est entré dans le portrait, c'est papa...". La mère, qu'il ne dessine pas, est restée en bas de l'escalier, sa sœur et son père ne veulent pas qu'elle entre dans le tableau. Un même personnage du dessin est désigné tantôt comme étant un garçon (Maurice), tantôt comme étant une fille (Lola).

 

Ce dessin peut évoquer une photo de famille qui serait prise par la mère. Les commentaires de Maurice expriment deux problématiques. Il est d'abord question d'une identité sexuelle qui n'est pas clairement établie avec la possibilité de passer d'un sexe à l'autre : lui et sa sœur sont interchangeables, plus exactement leurs images  le sont. Mais comme ils ne sont que des images dans un tableau ! Et c'est là le deuxième point : les personnes réelles s'effacent au point de n'être que des images exposées au regard d'une mère invisible comme si elles  n'avaient aucune extériorité par rapport au miroir qui les reflète. Mais ce tableau, qui est exposé, est-il regardé par la mère ? Comment le savoir puisqu'on ne la voit pas ? Les enfants sont regardés par le père avant qu'il n'entre dans le tableau-miroir mettant  en scène l'image idyllique de deux enfants jouant au ballon, ce qui est loin de la réalité, Maurice étant tout sauf sage comme une image. Peut-être exprime-t-il la nostalgie d'une époque plus heureuse ?

 

Que veut ce garçon alors que ses parents se battent pour la garde de leurs enfants ? Il invente l'histoire d'un père qui se rapproche de ses enfants en entrant dans un tableau-miroir, mais qui perd ainsi toute fonction de tiers symbolique pour devenir, comme ses enfants,  une image, alors qu'il tient sa mère à distance. Maurice semble être plus en quête d'un regard que d'un père défini comme étant une "métaphore de la loi" (Lacan). On peut comprendre qu'il soit difficile d'assumer une fonction paternelle pour un père  qui oscille entre être un inconnu, se confondre avec l'image maternelle ou être  un enfant de plus. La suite nous montrera qu'attirer le regard occupe une place centrale dans la dynamique subjective de cet enfant, surtout aux moments où il se sent délaissé par un autre qui peut sembler l'ignorer ou être occupé ailleurs. Les troubles du comportement sont alors une bonne synthèse entre les stratégies élaborées consciemment ou inconsciemment pour attirer le regard, et la haine pour un autre au regard absent.

 

Comme la mère avait demandé à me parler, je propose qu'elle vienne nous rejoindre :  Maurice refuse et répète qu'il ne souhaite pas sa présence. Il tient à la maintenir en dehors d'un lieu qu'il considère comme étant son espace personnel. Il est vrai que dans son état quelque peu maniaque, elle peut être vécue comme envahissante et même inquiétante.

 

Il me confie encore qu'il aimerait que ses parents se remettent ensemble.

 

Au vu de la totalité des entretiens qui ont duré plusieurs années, on peut se demander si le "portrait"  dessiné par Maurice lors de cette première rencontre  n'est pas une figuration de la scène primitive, lui et sa soeur jouant le rôle des géniteurs, un père tenant la chandelle et une mère en position de tiers voyeur.

  

  

Dessin 1



 

  

Entretien 2


Maurice vient en tenant dans sa main une coccinelle vivante dont il a fait son jouet. Il dit qu'il veut la mettre dans l'eau, puis parle de lui arracher les ailes et de l'écraser dans sa main. J'interviens pour éviter à l'insecte le destin cruel qui l'attend et lui rends sa liberté. L'enfant connaît la règle qui structure nos rencontres : il peut tout dire mais pas tout faire, et en tout cas il n'a pas le droit d'exercer son sadisme sur un être vivant. Si je lui explique mon intervention en me référant à l'interdit de nuire (la loi organisant la castration anale), je lui dis aussi que je ne veux pas prêter un regard complice à ses jeux sadiques et encore moins les favoriser. Il n'est pas issu de ces milieux défavorisés où il peut arriver qu'un parent donne comme jouet  à son enfant une mouche à laquelle il a préalablement arraché les ailes.

 

Mon intervention dans la réalité est à l'opposé des règles techniques de neutralité et d'abstention auxquelles je suis particulièrement attaché. Toute action éducative dans le cadre d'une psychothérapie la met en difficulté, ceci au même titre que n'importe quelle autre intervention dans la réalité de la vie de l'enfant. Reste mon intention qui n'est pas d'éduquer Maurice, ainsi que mon malaise face aux jouissances sadiques. Cet enfant m'amène ainsi à dévoiler quelque chose de mon désir et de mes limites.

 

Les maltraitances que ce garçon  fait subir à son entourage ne sont-elles qu'au service d'une jouissance perverse ou remplissent-elles encore d'autres fonctions ? On sait qu'une des hypothèses de Freud est que la destructivité originaire, celle s'exerçant à l'intérieur de l'organisme, est détournée vers le monde extérieur par sa liaison aux pulsions de vie. C'est cette liaison qui mènerait au sadisme qui, avant d'être un plaisir trouvant sa cause dans la souffrance infligée, est le plaisir procuré par la destruction d'un objet extérieur qui est aussi un objet-miroir.  Ce mouvement évoque la dynamique des petits groupes quand ils élisent l'un de leurs membres comme bouc émissaire et souffre-douleur. Les équipes soignantes montrent qu'elles se structurent sur ce mode quand ceux qui pourraient avoir un rôle unifiant et contenant en tant que leaders se montrent particulièrement défaillants. On voit alors des soignants, entretenant entre eux des rapports de rivalité et de maltraitance, retrouver un semblant d' unité en se liguant contre un des leurs promu au rang de mauvais objet, ce qui leur autorise  toutes les violences, et cela peut aller très loin. Pour ce que j'ai pu en observer, ni la maladie, ni la mort qui s'annonce, ne viennent  tempérer le "harcèlement" pour reprendre le terme utilisé par une collègue éducatrice pour qualifier ce qu'elle avait subi pendant plusieurs années. Elle avait éprouvé le besoin d'en parler, un soir, dans un centre de cancérologie, peu avant de mourir. Qu'un groupe puisse "soigner" sa souffrance en fécalisant l'un de ses membres et en déversant sur lui sa haine et son agressivité montre l'échec d'une institution à assumer la fonction symbolique qui devrait être la sienne. C'est le sacrifice d'un de ses membres qui donne alors un corps au groupe. Ce mode de fonctionnement est de plus en plus répandu dans les équipes soignantes depuis que la psychanalyse n'a plus sa place pour permettre une analyse des phénomènes institutionnels et transférentiels. On en revient à ce qu'était la psychiatrie avant les années 1970 avec la violence et la maltraitance promues au rang de remèdes universels. L'espoir d'un changement n'a été que de courte durée.

 

Maurice continue en  dessinant " une pyramide dans laquelle des méchants ont mis une coccinelle qui va mourir".  Puis il ajoute à son dessin "deux gendarmes qui vont arrêter les méchants".             

                          

 

Dessin 2

 

 

 

 

Dans l'histoire qui suit, il tue les gendarmes, mais c'est sur moi qu'il joue à tirer avec un pistolet imaginaire. Puis il parle de tuer un oiseau et continue ses provocations en jouant avec le téléphone, ce qu'il sait être interdit. Il conclut la séance en disant : "Je ne suis rien". Mais rien pour qui ? Pour ses parents ? Il peut le penser, en tout cas il porte cette inquiétude, une parmi d'autres.

 

Maurice réalise dans son imaginaire ce qu'il ne peut pas faire dans la réalité : tuer, d'abord la coccinelle puis moi. Il me signifie sans détour le sens qu'a pris pour lui mon intervention dans la réalité : en lui mettant une limite je suis devenu à ses yeux un autre surmoïque, un gendarme à éliminer. Imaginaire et réalité se confondent et la psychothérapie pourrait s'arrêter sur ce qui a tout l'air d'un échec. Sauf que  ce qui s'est passé pendant cet entretien finit par prendre le sens d'un jeu semblable au psychodrame, y compris mon intervention m'amenant à "jouer" le rôle du gendarme.

 

On a là un autre trait caractéristique de la personnalité de ce jeune patient : un certain continuum entre jeu et réalité avec des passages où il ne fait plus de différence entre ces deux registres, un jeu sans faire semblant en quelque sorte. C'est aussi ce qu'il expliquera à propos de certaines de ses violences ayant une valeur de passage à l'acte  en disant que "c'était pour jouer". Donc, il y a des moments où il peut jouer à agresser en agressant réellement, avec le plaisir de transgresser et de faire souffrir. Tout cela à l'échelle d'un jeune enfant évidemment. Il  n'agit pas en cachette. Pourtant, dans ce qu'il dit à propos de son dessin, il montre qu'il sait ce que veut dire transgresser et être puni.

 

Nous sommes là en présence d'un fonctionnement psychique que Freud  considère comme étant caractéristique de l'inconscient, et qui, assujetti à la logique des processus primaires, ne fait pas de différence entre fantasme et réalité, pensée et acte. Il y aurait donc des moments où l'activité psychique de Maurice serait directement placée sous l'influence des processus inconscients.

 

Évidemment cet enfant n'est pas qu'asocial et violent, avec une touche de sadisme et peut-être une certaine étrangeté. C'est aussi un enfant intelligent avec une souffrance qu'il exprime brièvement en disant : "Je ne suis rien", ce qui est en quelque sorte l'aveu final ...  après avoir joué de la toute-puissance pendant la quasi-totalité de la séance.

 

 

Entretien 3

 

Alors que je vais chercher Maurice dans la salle d'attente, sa mère en profite pour me parler longuement des rivalités et des conflits qu'entretiennent ses deux enfants, chacun exigeant l'exclusivité d'une attention perturbée par une importante agitation psychomotrice.

 

Seul avec moi, Maurice me confie : "Je la (sa soeur) déteste, je ne la supporte plus. Elle me fait du mal comme à un chien. Je vais la claquer." Puis il se met du feutre sur les ongles, imitant un vernis, et me dit : "Je suis une fille. J'aurais dû être une fille et ma soeur un garçon." Voilà une raison supplémentaire pour haïr les filles  : il aurait aimé en être une.

 

Ensuite il me fait un dessin relativement peu différencié, entre tache et gribouillage, qu'il dit représenter "presque un homme". Il ne dira rien de plus à propos de ce "presque un homme". S'agit-il d'un presque humain, ou d'un presque masculin, ou ce "presque" a-t-il uniquement un sens développemental ? Pour terminer il se tape sur la tête et se laisse glisser par terre. A ce moment-là je pense qu'il se laisse tomber au sens où on laisse tomber quelqu'un, où on l'abandonne. Un abandon qu'il aurait vécu ? Des "laisser tomber" il y en a eu beaucoup dans sa vie. Mais il met aussi en scène une  identification à l'agresseur en se tapant sur la tête.

 

De retour dans la salle d'attente, il se calme dans les bras de sa mère et lui demande son âge, puis si elle embrasse son père (le père de Maurice) sur la bouche. Il termine en disant qu'il va embrasser sa soeur sur la bouche. Le moins que l'on puisse dire c'est que les relations entre le frère et la soeur ne sont pas simples, quelque chose se répète d'une génération à l'autre dans le questionnement de l'interdit de l'inceste. S'il faut en croire la mère, il y aurait eu abus et inceste dans une génération précédente. Maurice fantasme la relation avec sa sœur sur le modèle des relations qu'il a pu observer entre ses parents.

 

 

Entretien 4

 

Dans un premier dessin,  Maurice représente une maison dans laquelle  se trouvent trois personnages : "un garçon, sa soeur et sa maman. Le papa est parti au magasin acheter des choses à manger. La maman regarde la télé avec sa fille. Le garçon ne fait rien, il veut regarder la télé, mais elles ne veulent pas parce qu'il faut deux garçons pour regarder la télé et papa n'est pas là."

 

Le clivage est net : nous avons d'un côté la mère et la fille, de l'autre le père et le fils. Il n'y a pas de triangulation. Ce sont les hommes face aux femmes, engagés dans "une guerre des sexes". Maurice se sent exclu du couple mère-fille : il se dessine d'une autre couleur et se trouve seul à l'étage inférieur. Son père étant absent, il se sent abandonné et ne fait pas le poids face à elles.

 

 

Dessin 4-1


 

 

 

Ensuite Maurice joue l'ivrogne (sa mère a eu une période d'alcoolisation) et dessine un "homme et un garçon" (dessin 4-2). 

                                          

 

Dessin 4-2



numérisation0011

 

 


Il me donne sa version du père. "Un papa fait ce qu'il veut, dit-il. Il part sans ses papiers (d'identité). Les policiers lui courent après. Il les écrase tous. C'est bien, personne n'aime les policiers. La maman travaille chez les policiers." Ce fantasme d'un père tout-puissant se situant au-dessus de la loi et ne reculant devant rien, même pas le meurtre, conforte sans doute cet enfant dans son propre sentiment de toute-puissance avec la jouissance qui va avec. Il se veut semblable à ce père dont l'image se confond avec la sienne. Ils sont unis par leur ennemi commun : tous ceux qui se situent du côté de la loi. Cela n'est peut-être pas sans lien avec le fait que cet enfant a été le témoin de la lutte de son père contre la justice qui a pris le parti de la mère dans la question de la garde des enfants.

 

Ce rapport problématique à la Loi est au coeur des difficultés que pose Maurice à son entourage. Il rejette l'autorité des adultes et ne respecte pas les règles en usage. Ceux qui représentent la loi sont, dans son imaginaire, à détruire, ils sont réduits au statut d'obstacles à éliminer. Par son comportement il montre qu'il éprouve un réel plaisir à faire ce qui est interdit, et il suffit de lui signifier une quelconque limite pour qu'il veuille la transgresser immédiatement. Il me fait alors penser à ces enfants qui ne savent que dire  "non", et qui me le confirment en me répondant "non" quand je leur fais remarquer  qu'ils ne font rien d'autre que de me dire "non". Les uns ne savent dire que non, d'autres que transgresser.

 

On comprend que face aux difficultés que pose cet enfant la réponse soit facilement éducative : lui apprendre qu'il y a des règles et qu'il faut les respecter. Cette éducation peut alors être ludique,  à travers des jeux de société par exemple, ou musclée. Mais ces techniques  sont inopérantes sauf à névrotiser l'enfant ou à lui apprendre à faire ses mauvais coups en cachette. La névrotisation se fait en prenant appui sur le transfert d'un enfant qui va se modeler sur les exigences de l'adulte pour en être aimé et éviter la violence d'un rejet. C'est là ce qu'il faut éviter dans une démarche psychothérapique qui se refuse d'être une rééducation mentale, une technique de suggestion ou une manipulation, du moins si l'on veut proposer autre chose en termes de soins que de couler une chape de béton sur l'enfant ou de le féminiser en douceur pour faire taire les questions qu'il pose à travers ses symptômes.

 

 

Entretien 5

 

Dans la salle d'attente, la mère se plaint de son fils auquel elle reproche de mordre sa sœur Lola. Elle le sanctionne en l'envoyant dans sa chambre où il passe sa pu nition à jouer. L'enfant commente en disant : "Ma maman est une autre". Il veut dire : "une alien". Mais, dans le contexte psychiatrique dans lequel évolue la mère, il est difficile de ne pas penser à l'aliénation mentale. Peut-être a-t-il entendu celle-ci se faire traiter d'aliénée mentale ? En tout cas, elle réplique en menaçant de le mettre en pension dans une  école militaire.

 

L'aliénation ("alienus" signifie "étranger" en latin et est dérivé de "alius", "autre") désigne l'état de quelqu'un qui est étranger à lui-même et aux autres. La mère de Maurice peut paraître effectivement étrange, et pas seulement à son fils. Mais elle est aussi, pour son fils, Autre en tant que femme  et se situant du côté de la Loi, à la différence de l'image paternelle à laquelle il s'identifie.

 

Il me dessine deux enfants se tenant de chaque côté d'une route : la fille en rose et le garçon en bleu. Dans la maison se trouvent les parents qui regardent  leurs enfants essayant d'attraper un sourire.  La fille réussit à en capturer un, puis le relâche. Les enfants doivent rentrer, mais le garçon reste dehors.

 

Maurice m'explique qu'il a représenté sa famille réunie avant la séparation des parents. Sur le dessin il se tient ou est tenu à l'écart. Une route le sépare de ses parents et de sa sœur, une route qu'il ne peut pas ou ne sait pas traverser. C'est ce qu'il ne cesse de répéter : qu'il se sent rejeté, que ses parents le regardent les yeux pleins de reproches alors qu'il voudrait être aimé et admiré. Il cherche un sourire. Pourtant dans la réalité de la vie son comportement est plus apte à induire chez les autres de l'hostilité que de l'amour.

 

 

Dessin 5 

 

 

 

Entretien 6

 

Maurice arrive en colère. Sa mère doit l'accompagner dans mon bureau. Dès qu'il entre, il exige qu'elle nous laisse seuls. Il se montre particulièrement tyrannique avec moi et fait à peu près tout ce qu'il imagine être susceptible de me contrarier. Il m'explique qu'il se venge sur moi de sa mère qui l'aurait menacé de le priver de cadeaux à Noël.

 

Il me dessine un Père Noël ivre qui a perdu tous ses cadeaux après en avoir déposé quatre pour sa sœur et autant pour lui : "Le même nombre, dit-il, comme ça, il n'y a pas de jaloux."

 

Il insiste sur l'étrangeté de ce Père Noël qui apporte des cadeaux à des enfants qui ne sont pas sages. L'allusion au comportement incohérent de sa mère est assez évidente. C'est l'inconvénient des promesses de punition que l'on ne peut pas tenir.

 

 

Dessin 6-1

 

 

 


Dans un second dessin, il est question d'une maison sous la neige. La mère et la fille sont à l'intérieur. Le père et le fils doivent rester dehors. Ils dorment dans la voiture puis se construisent une cabane. " Comme ça les garçons n'embêteront pas les filles, dit-il. Les papas embêtent les mamans". Maurice conçoit sa relation avec sa sœur sur le modèle de ce qu'il a pu observer entre  ses parents. En même temps, il semble avoir compris quelque chose de l'étrangeté des rapports de sa mère aux hommes qui la servent et qu'elle domine, avant de les mettre dehors. En tout cas, dans son fantasme, le rôle des hommes est d'embêter les femmes.   

                                                  

                              

Dessin 6-2

 

 

 

 

 

Entretien 7

 

Maurice me dessine "un paradis". "Le papa est dans la forêt, dit-il. Il va couper les arbres, mais il a oublié sa tronçonneuse. Il en trouve une par terre mais elle ne marche pas. Il va à la maison en chercher une. La mère regarde les enfants jouer dehors. Les enfants veulent cueillir des fleurs, mais une seule a poussé. La voiture a été volée avec les clés. Le papa est perdu dans la forêt mais il a une sortie secrète pour rentrer à la maison. La maman appelle la police, elle donne la tronçonneuse à papa, elle a mal au ventre et à la tête parce qu'elle a trop crié".

 

Pourquoi parler de paradis ? Est-ce l'expression du bonheur d'imaginer toute sa famille réunie, ou alors tout le monde est mort et la scène se situe après la vie, au paradis plutôt qu'en enfer ? En tout cas  les quatre personnages  paraissent heureux. Le père, doublement en échec, perdu et impuissant, retrouve le symbole de sa fonction d'agent de la castration grâce à la mère. Nous sommes là en plein rêve puisque dans la réalité ce serait plutôt cette dernière qui manierait la tronçonneuse.

 

Maurice me dit encore que sa mère ne va pas bien, qu'elle a été à l'hôpital. Il me confie qu'il aime embêter les autres : "C'est rigolo de faire du mal, dit-il. Papa pinçait maman et elle le mordait." Il continue en me parlant des scènes de violence auxquelles il assistait, caché sous la table.

 

 

Dessin 7

 

 

 

 

 

Entretien 8

 

Avec l'entrée au CP les difficultés  de Maurice, et celles qu'il pose aux autres, s'aggravent. A l'école, il joue et refuse de travailler, rejetant ouvertement l'autorité des enseignants. A la maison il n'accepte pas de manger, de se laver, etc. Il refuse même de se laisser habiller et de parler à son père au téléphone, disant qu'il est méchant et qu'il le tape.

 

Maurice me répète qu'il n'aime ni sa sœur ni son père. Il me dessine une maison dans laquelle il est avec sa mère, son oncle et une cousine. Dans le parc, il y a son père déguisé en bonhomme de neige. Il me dit qu'il a "volé maman à papa".  A partir de cette époque les relations entre père et fils vont se dégrader progressivement allant jusqu'au rejet mutuel. Le père se dit fatigué des problèmes que lui  pose son fils et des conflits qui en résultent avec son ancienne épouse. Il va investir exclusivement sa fille. Cet homme reconnaît ouvertement sa défaite, il dit qu'il " baisse les bras" en abandonnant un peu plus chaque jour son fils à sa mère. Mais si pour l'enfant c'est une victoire, s'il a réussi à se débarrasser de son père et à réaliser ses fantasmes œdipiens, il n'en souffre pas moins, même s'il le nie. L'attitude de son père le fait passer brutalement du registre de l'imaginaire à celui de la réalité. Je pense que ce dont il rêvait était plutôt d'avoir une relation privilégiée avec ses deux parents.

 


Dessin 8

 

 

 

 

Entretien 9

 

Les punitions pleuvent à l'école comme à la maison.  Maurice fait le maximum pour embêter les autres. Et il se vante de ses exploits : "Je casse tout, me dit-il avec fierté. Je n'ai pas peur."

 

Puis il s'en prend à moi en disant, dans un état d'excitation euphorique : "Je vais t'énerver. Comme ça tu seras casse-pieds." Je lui demande ce qu'il entend par là et il me répond :"T'es casse-pieds ça veut dire que tu t'arrêtes pas de parler et de faire mal aux autres. Je vais t'énerver pour que tu fasses le bazar. J'ai un danger dans mon coeur, un truc pour te faire mal. Je suis capable de casser un policier.  J'aime faire mal aux autres." Il voudrait donc  que je fasse comme lui, que je sois identique à lui.  Veut-il m'entraîner dans une relation sadomasochiste, mode relationnel auquel il semble resté fixé ? Sans doute, mais il est d'abord question d'une demande : que je lui casse les pieds, expression qui vient là comme une métaphore de la  castration.

 

La désinhibition dont fait preuve cet enfant dans de pareils cas me rappelle l'état d'excitation logorrhéique qui a été à maintes reprises celui de sa mère. Tout en parlant il me fait un dessin qui me donne le tournis comme le ferait un tour de manège sur les "montagnes russes".

 

La réaction de la psychiatre à cette situation, devenue ingérable pour les autres, sera la prescription de neuroleptiques.

 

Dessin 9

 

 

 

 

Entretien 10

 

Mes relations avec Maurice deviennent délicates du fait de ses "provocations". Il m'insulte ("caca", "patate pourrie qui pue", etc.) et tente de m'agresser physiquement. Si ses insultes ne me posent pas de problèmes particuliers, ses agissements m'obligent à lui mettre des limites, surtout quand il essaye de passer par-dessous ou par-dessus le  bureau pour me cogner ou me donner des coups de pied.

 

A la fin de l'entretien, il veut "jouer à la demoiselle" et me dit qu'il est moins bête que moi. Je suis supposé jouer le rôle de l'homme qui "tape" la demoiselle. La violence de cet enfant prend indéniablement ici la connotation sexuelle inconsciente d'une scène primitive dans laquelle il incarne la femme. Dans d'autres jeux et situations, il incarne l'homme.

 

Parler de la sexualité infantile en psychiatrie de l'enfant est devenu difficile, en tout cas là où je travaille. Actuellement le sadisme des enfants est facilement conçu comme étant le fruit d'une erreur cognitive, sans la moindre référence à la notion de jouissance. Mais où est l'erreur quand des spécialistes de l'enfance soutiennent que torturer un animal n'est pas du sadisme puisque tous les enfants le font (tous ?).

 


Entretien 11

 

La mère de Maurice me dit qu'il s'est calmé à la maison et à l'école, mais pendant l'entretien il se montre infernal. Il déborde de toutes parts. Non seulement le bureau ne fait plus limite entre lui et moi, mais il écrit sur mes notes et mon agenda. Il s'approprie mes objets et s'en sert comme s'ils lui appartenaient. Il veut annuler toute distance ou différence nous séparant. En même temps qu'il met en place cet espace d'indifférenciation, il m'attaque. Je suis obligé de le contenir alors qu'il me grimpe dessus en essayant de me marteler le visage à coups de poing, ceci en présence de sa mère qui tente de le calmer. Mais elle n'y réussit pas plus que les neuroleptiques.

 

Quand j'essaie de parler avec lui de son comportement, il me répond : "Je suis un fantôme. Un papa la nuit, une maman le jour. Monsieur qui sait tout." Cette identité sexuelle fluctuante confirme, si cela était nécessaire, la fragilité identificatoire de cet enfant.

 

 

Entretien 12

 

La mère amène Maurice dans mon bureau : j'avais oublié le rendez-vous. L'enfant veut s'asseoir simultanément sur deux chaises, mais il n'est jamais facile  d' "avoir le cul entre deux chaises" : père ou/et mère, homme ou/et femme, lui ou/et moi. En tout cas, il est aussi question d'ambivalence et non seulement d'une identité ayant des difficultés à se fixer.

 

Maurice me dessine "la maison de papa qui s'écroule. Elle brûle. Il a voulu faire du feu dans la cheminée et a mis le feu. L'herbe prend feu, papa est dans l'herbe, il fait pipi pour l'éteindre. Papa arrache un arbre, il ne l'aime pas parce qu'il a des épines." Des épines, il en a lui aussi.

 

 

Dessin 12-1


 

 

 

Je lui fais remarquer que la maison qu'il a dessinée n'a pas de porte. Il sourit en me disant que "papa n'aurait pas pu sortir", puis il conclut en déclarant :" J'aime bien le feu." Il exprime ouvertement l'ambiguïté de ses sentiments à l'égard d'un père qui a une lance à incendie (un phallus) là où lui n'a qu'un petit robinet.

 

Maurice me fait un deuxième dessin qu'il nomme : "l'école des petits vampires". L'histoire qu'il me raconte est confuse. Il est question de quelqu'un qui fait la fête, et qui tue un vampire et une chauve-souris. Il me dit qu'il est une chauve-souris et qu'il s'est tué.

 

Nous sommes toujours dans le registre de la destruction, mais avec des tentatives d'élaboration mentale. Ce qui n'empêche pas Maurice de continuer à déverser sur moi son sadisme avec un plaisir évident, tout en me parlant et en dessinant. La  situation reste difficile, il arrive toujours un moment où je dois  lui mettre des limites.  N'ayant pas de lance à incendie,  je ne puis lui donner une douche froide pour le calmer. Alors que je le repousse en faisant attention à ne pas lui faire de mal,  lui n'a pas ce genre d'attention : il ne fait pas semblant, il cogne. La violence est relative :  il s'agit de coups portés par un enfant. Que cherche-t-il à travers ses attaques : me faire mal, se ramasser une raclée ? L'impression que j'ai est qu'il ne sait pas faire autrement : m'agresser est une de ses manières d'être avec moi, en plus de parler et de dessiner. Le paradoxe de cet enfant est qu'il refuse les limites tout en les cherchant, ceci parce qu'il ne peut pas vivre sans. Et personne ne le peut. C'est pour cette raison que les grenouilles demandent un roi et les humains des chaînes.  Faut-il qu'un lien réel vienne là où défaille  la chaîne des signifiants ?

 

 

Dessin 12-2

 

 

 

Entretien 13

 

La mère me rapporte qu'à l'école Maurice a pris la main d'une fillette pour se "frotter" la zone génitale. Elle est inquiète, l'enseignante aurait demandé à son fils s'il avait déjà "vu faire ça" quelque part. Mais ce comportement sera officiellement attribué à l'oubli d'une prise de Tercian.

 

Dans son dessin, l'enfant représente la construction d'une usine avec une machine qui recycle les déchets en jouets. Sa sœur construit l'usine et lui met de l'eau dans la machine. Il est le chef de l'usine et sa sœur  fait tourner la machine sous ses ordres. Cette idée de recyclage des déchets est intéressante : il n'y a pas de perte. Peut-être s'agit-il aussi de recycler les déchets humains, ou du moins ceux qui s'imaginent l'être ?

 

Il passera le reste de la séance à jouer au vampire, allant jusqu'à se mordre et me montrer la trace laissée par ses dents sur son bras. Apparemment il aimerait se recycler en vampire, et n'en est pas à sa première morsure.

 

 

Dessin 13

 

 

 

 

Entretien 14

 

Maurice est amené exceptionnellement à la consultation par son père, lequel se dit satisfait de l'évolution du comportement de son fils. Je trouve l'enfant inhibé, avec une voix ralentie. J'apprends, qu'ayant oublié de prendre son traitement ce matin, il l'a pris à midi, c'est-à-dire il y a une heure environ.

 

Il me dessine deux personnages qui jouent paisiblement au tennis et  deux autres qui pratiquent le même sport, mais en  se lançant des couteaux et des glaçons pointus. Hésiterait-il entre deux conceptions du jeu, l'un pacifique, l'autre violent et destructeur? A-t-il moins de violence à exprimer ou est-elle davantage inhibée par la prise tardive de neuroleptiques ? Dans son histoire, l'herbe prend feu et les arbres brûlent, un des joueurs est tué.

 

Le thème du feu qui détruit et tue revient fréquemment dans le discours de Maurice. Sans doute sa mère l'a-t-elle souvent mis en garde contre les dangers que représente le feu, d'autant plus qu'il aime jouer avec les allumettes. Mais c'est lui qui risque de finir par se brûler les ailes.

 


Dessin 14

 

 

 

 

Entretien 15

  

Je retrouve l'enfant auquel je suis habitué.

 

Il dessine rapidement une course de natation en disant : "Je gagne, je suis le meilleur. Il y en a qui mettent des gilets de sauvetage, pas moi." Puis il dit qu'il aime m'embêter, qu'il aime embêter les autres.

 

Maurice continue :"Il y a un  CE1 qui m'aime et je ne l'aime pas".  Quand ce  "un" se révèle être une fille,  il précise qu'il n'aime pas les filles. Ceci sans doute parce qu'il les assimile à sa sœur. Puis il me traite de caca et guette ma réaction avec un grand sourire.

 

Il exprime ainsi clairement son fantasme : il est le meilleur, il a tous les droits et peut tout se permettre, les autres sont de la "merde" dont il peut faire  ce qu'il veut. C'est cet état d'esprit qui fait que certains  le qualifient de paranoïaque. C'est là un diagnostic facile  qui me paraît exagéré.

 

 

Dessin 15


 

 

 

Entretien 16

 

Maurice est amené par son père qui a accepté de le prendre durant la  journée  sur une courte période des vacances. Le père se plaint d'un manque de concentration chez son fils auquel il demande de faire des devoirs de vacances. Il me dit que l'enfant lui déclare  le matin qu'il l'aime et pleure le soir chez sa mère en disant qu'il ne veut  plus  aller chez son père.

 

Maurice me dessine "un bonhomme dans une piscine. Il voit l'alarme incendie. Le papa a oublié de refermer l'essence qui prend feu. Il est parti en forêt. Il entend l'alarme mais ne trouve pas son chemin pour rentrer." A la fin de son histoire il s'agite et crie :" Le bonhomme c'est toi, c'est ton histoire, c'est ton dessin." Apparemment il préfère imaginer que c'est moi qui suis la victime de la distraction de son père et qui brûle dans la piscine plutôt que lui ou sa mère.

 

J'attends qu'il se calme et lui dis  alors que j'avais l'impression qu'il ne savait plus trop qui il était. Il me répond  : "Si je sais, je suis toi".  Puis il m'attaque violemment pour prendre ma place derrière le bureau. Je mets un frein à son comportement en lui disant que le jeu était fini (une scansion, comme dans le psychodrame). Cette intervention prend pour lui  valeur d'interprétation. Surpris, il se calme et m'explique : "Je veux être toi parce que tu fais un meilleur travail que moi. Si tu étais moi, mon papa te forcerait." Il fait allusion aux devoirs de vacances qui lui étaient imposés.

 

Maurice ne dit pas simplement qu'il convoite ma place parce qu'elle lui paraît préférable à la sienne, ni qu'il est prêt, dans son fantasme, à m'éliminer pour l'occuper. Il dit qu'il est moi, qu'il incarne mon être. Il faut donc que je disparaisse puisqu'il ne peut pas y avoir deux "ego" en même temps. Il y a là une confusion identificatoire que l'on retrouve  dans sa relation à sa sœur.  : il est sa soeur qui occupe la place qu'il pense être la sienne. Tout se passe comme s'il n'y avait qu'une seule identité idéalisée, un unique miroir, pour deux personnes. Il pense être  l'image idéale qu'il voit dans le miroir, mais ce n'est pas la sienne.

 

Cela  confirme une fois de plus que la violence de cet enfant s'inscrit dans une problématique identificatoire. En  lieu et place de son image idéale qui n'apparaît pas dans le miroir, il voit l'image d'un autre, et ce dernier doit disparaître puisqu'il n'y a qu'une seule  identité pour deux personnes. Mais cette logique mène à une impasse : si cet autre disparaît il n'y a plus d'image spéculaire. C'est alors le statut de l'image qui doit changer, elle ne peut plus être le reflet plus ou moins idéalisé d'une quelconque réalité,  elle doit être une réalité en elle-même. Nous retrouvons ainsi ce qu'énonçait Maurice à l'époque où il déclarait qu'il était une image.

 

 

Dessin 16 

 

 

 

 

Entretien 17

 

C'est la rentrée scolaire. La mère se plaint de son fils qui la tape quand elle essaie de lui mettre des limites. Elle me dit pourtant que "sa conduite a été exemplaire" pendant le mois de vacances qu'ils ont passé ensemble dans un camping. De son côté Maurice exprime de la rancune à l'égard de son père, il dit qu'il ne l'aime pas parce qu'il l'a obligé à faire des devoirs de vacances.

 

L'enfant passe l'entretien caché sous son blouson et donne des coups de pied à sa mère.  Il explique son comportement en disant que son père et sa mère préfèrent sa sœur. Ce qui n'est pas complètement faux, surtout du côté paternel.

 

Maurice me dit encore qu'il fait des cauchemars dans lesquels il est poursuivi par des monstres et appelle sa mère à l'aide.

 

 

Entretien 18

 

L'enfant exige la présence de sa mère. Celle-ci me dit qu'il y a une légère amélioration au niveau des notes et du comportement à l'école. La réussite scolaire va être progressivement  la préoccupation essentielle des parents.

 

Maurice, qui va encore exceptionnellement chez son père, se plaint que celui-ci  ne veuille pas lui acheter de lampe de poche alors qu'il a peur dans le noir. Son père lui aurait répondu qu'il était assez grand pour savoir où était l'interrupteur. Les appels au père restent sans réponse.

 

Il me raconte un cauchemar dans lequel il est coincé entre quatre murs avec sa sœur qui lui dit qu'il va à droite alors qu'il va à gauche.

 

Quand sa mère quitte le bureau, il pleure, puis boude avant de se venger sur moi.

 

 

Entretien 19

 

Maurice veut me raconter un cauchemar, mais exige que je n'en parle à personne : il  se fait mordre par "plein" de vampires et se transforme en vampire qui vole. Il me confie qu'il a essayé de se fabriquer de fausses dents de vampire pour se déguiser et  faire peur aux autres.

 

Il  dessine "une chauve-souris vampire qui vole, un bonhomme vampire et un deuxième bonhomme qui saigne du ventre".  Il me dit qu'il veut être un vampire parce que les filles en ont peur. La chauve-souris vampire "est enfermée, elle est punie, dans une heure elle va mourir." Il me parle de son projet de fabriquer un cercueil pour s'y réfugier. Un cercueil comme substitut du ventre maternel ? En tout cas, il a trouvé une identité qui semble lui plaire. Rien n'est dit du personnage qui saigne du ventre.

 

Maurice semble avoir amorcé un changement de registre : de même qu'il rêve ses fantasmes, il peut maintenant les imaginer et les jouer sans violence excessive. L'intérêt serait qu'il puisse  exprimer et accomplir ses désirs pervers à travers son imaginaire plutôt que d'essayer de les réaliser. On peut aussi noter l'émergence d'un sentiment de culpabilité prenant la forme d'une punition de la "chauve-souris vampire". Si ces hypothèses devaient se vérifier, cela voudrait dire que nous assistons à une névrotisation de la problématique de cet enfant dont les difficultés  pouvaient faire penser à une attitude psychotique face à une réalité trop douloureuse et frustrante.

 


Dessin 19

 

 

 

 

 

Entretien 20


Maurice me paraît bien plus calme que d'habitude. Même un  peu terne. Sont-ce les effets de l'ECA (l'éducation chimiquement assistée pour ne pas parler de soumission chimique) ? Il se plaint d'avoir la tête vide, de n'avoir rien à dire. Après un long silence je lui propose de dessiner. Il accepte, docile.

 

Il me dessine "quatre arbres et un bonhomme rouge équipé d'une tronçonneuse". Il se plaint d'avoir raté son bonhomme, surtout les jambes et les pieds. Il associe ce personnage qui "coupe les arbres parce qu'il ne les aime pas" à son père qui aurait deux tronçonneuses. Puis il dessine un deuxième bonhomme en vert qui met de l'huile dans sa tronçonneuse, lui aussi n'aime pas les arbres. " Moi j'aime les arbres, dit-il,  je suis en colère. Il neige, il y a plein de neige. Il va geler et papa va glisser, le bac d'huile va tomber sur lui. "

 

Il est étonnant de le voir se positionner en défenseur des arbres contre un père qui finit par être puni pour sa "méchanceté". Mais il n'est sans doute pas complètement extérieur à ces arbres qui sont menacés d'être coupés. Dans le commentaire du dessin le manque se déplace : il est d'abord du côté du fils qui a raté le dessin d'un père bien pourvu (il a deux tronçonneuses), puis il se retrouve du côté du père qui fait une chute.

 

Au terme de la séance, il exprime un vif mécontentement et me menace en  disant que son père allait venir me couper la tête. Puis il essaie de détourner mon attention pour transgresser quelques interdits. Il parle de "tours de magie" à propos de ses transgressions. Il pense faire ses "mauvais coups" en cachette .Ce n'est pas le premier enfant que je vois "guéri" alors qu'il a "simplement" appris à faire ses "bêtises" en cachette. Cette évolution est rendue possible par l'acquisition d'une certaine maîtrise de la pensée et des actes. Il a acquis la faculté de dissimuler pour se mettre à l'abri d'une punition. Sans doute par crainte de la tronçonneuse symbolique du père.

                                                                                         

 

Dessin 20

 

 

  

 

Entretien 21

 

Maurice dessine un oiseau (dessin 21-1) et me dit : "C'est toi...un corbeau un peu dérangé... il est rouge de colère." J'en suis toujours à incarner son image spéculaire et c'est bien de sa colère dont il est question  à travers celle qu'il m'attribue.                

 

Dessin 21-1

 

 

Il me dit que, quand il se réveille la nuit, il voit "des fantômes avec deux grandes dents, des vampires". Il fait une différence entre les vampires chauve-souris qui volent et les vampires à forme humaine qui ne volent pas. Il dessine une église avec des tombes et se représente en "vampire chauve-souris". Quant à moi, il me représente en "vampire humain" (dessin 21-2) et m'appelle "mon pote" en déclarant :"Nous sommes des vampires et on va tuer."

 

Si dans son imaginaire Maurice me reconnaît comme étant un des siens, un semblable, il n'en va pas de même dans la réalité. A la fin de la séance il me demande un règlement, il veut des règles écrites comme à l'école, sinon il menace de ne pas les respecter.

 


Dessin 21-2

 

 

 

 

 

Entretien 22

 

Les résultats scolaires s'améliorent, mais à la maison le comportement de l'enfant est infernal. Il insulte et tape sa mère qui répond en le punissant. Il ne supporte pas qu'elle puisse téléphoner à un tiers et se montre d'une jalousie extrême envers sa sœur. Cette recrudescence de la violence semble directement liée au fait que la mère ait amené un nouveau compagnon à la maison. Là où sa sœur dit sa jalousie, Maurice la montre.

 

Maurice dessine une tempête de neige en montagne. Des promeneurs sont en danger. Il est dans un des avions qui viennent pour les sauver et  surveille les avalanches. Sa sœur est dans un deuxième avion. Maurice élabore, en réaction à ses fantasmes sadiques, une image de lui-même conforme à un certain idéal, celui du "sauveur". Cela pourrait vouloir dire qu'il a envie de changer, qu'il  se plaît moins dans le rôle du "méchant".

 


Entretien 23

 

La mère me dit qu' elle n'a pas reconnu son fils ce matin, tellement il était sage : il s'est levé sans problème, s'est habillé seul, a pris son petit-déjeuner dans le calme puis a attendu tranquillement le départ pour l'école.

 

Maurice me dit qu'il voudrait que "ça redevienne comme avant (avant la séparation des parents), on rigolait tous ensemble." Il me dessine trois avions dont un qui est en cours de reconstruction, le plus grand. Il fait spontanément le lien entre lui et cet avion : il serait le plus grand des avions, celui qui est cassé et que l'on reconstruit.

 

 

Dessin 23

 

 

 

 

Il a à son poignet la montre que portait sa mère quand elle était "petite". Celle-ci me dira plus tard qu'elle avait toujours pensé que c'était une montre de garçon et qu'elle l'a donnée à son fils en lui disant qu'elle était "mixte". Maurice serait-il lui aussi mixte pour la mère ?

 

Il veut prendre mon stylo en déclarant qu'il n'aime pas son père qu'il trouve "moche et dingue". Puis il se met à rivaliser avec moi pour savoir qui de nous deux avait le plus grand stylo. Evidemment c'est lui ,puisqu'il met trois feutres bout à bout en me narguant. Il est heureux de sa plaisanterie. La dimension symbolique du concours qu'il a organisé est assez évidente. D'ailleurs il insistera lourdement sur le fait d'avoir "un stylo plus grand et plus lourd" que le mien. On peut en conclure qu'une montre mixte ne lui suffit pas, surtout venant de sa mère.



Entretien 24


La mère se plaint de crises de colère de plus en plus violentes chez son fils dès qu'il est contrarié ou puni. Il peut alors l'insulter et la taper. Par ailleurs, il a donné un coup de poing à sa sœur parce qu'elle s'est moquée de lui


Toute cette violence n'est peut-être pas sans lien avec une recrudescence des conflits entre les parents et le fait que le père ait fait refaire chez lui la décoration de toutes les chambres sauf celle destinée à Maurice.

 

L'enfant se plaint longuement du comportement de sa sœur. Il pense qu'elle va jusqu'à boucher les WC pour le faire accuser. De colère, il casse tout ce qui lui tombe sous la main. Il pense que son père soutient sa sœur contre lui.

 

Il compare sa sœur à ses parents en disant qu'eux pouvaient tout se permettre, y compris se battre avec violence. Ce qui n'est pas tout à fait vrai puisque ces violences se sont terminées devant la justice, mais cela, il semble l'ignorer.

 

 

Entretien 25

 

Je me trouve en présence d'un enfant exagérément calme, même ralenti. Selon sa mère, il aurait maintenant un traitement associant deux neuroleptiques. Il a sept ans.

 

Il me dessine la salle d'attente d'un médecin avec un aquarium et un enfant qui pêche un poisson qu'il veut voler pour l'amener chez lui à l'insu de sa mère. Dans l'aquarium il y a un autre poisson qui a pondu alors qu'il n'en avait pas le droit. Un homme essaie de voler des œufs, lui aussi veut un poisson.

 

Il me raconte qu'il avait un poisson qui est mort parce que, faute de bocal, il l'avait mis dans une boîte.

 

On  peut se demander dans quelles conditions cet enfant a été conçu compte tenu de la situation difficile qui était déjà celle du couple parental à cette époque (le poisson qui a pondu sans en avoir le droit). J'apprendrai plus tard que dans le roman familial le père ne voulait pas de Maurice et que la mère lui a imposé cette paternité.

 

 Dessin 25

 

 

 

 

 

Entretien 26

 

La mère de Maurice qualifie une nouvelle fois le comportement de son fils à la maison d'exemplaire. Par contre, il se montrerait agressif avec les autres enfants  à l'école.

 

Avec moi il adopte des attitudes d'opposition et de provocation, tout en me traitant comme un copain. Il se plaint qu'on se moque de lui à l'école à cause de son bonnet à pompon. Il donne le même  sens à mes sourires. Ce qui ne l'empêche pas de jouer au caïd et de se montrer tyrannique.

 

Il me dessine deux volcans : l'un fume et l'autre explose. Ce dernier met le feu à un bus, mais la personne qui est menacée par les flammes trouve un abri. Il dit qu'il se reconnaît dans le volcan qui fume (on parle de "fulminer"), et que sa peur est d'exploser et de tuer tout le monde.

 

Si effectivement il s'avérait qu'il ait peur du mal qu'il pourrait éventuellement faire à d'autres dans un moment de colère, le chemin parcouru par cet enfant sur le chemin de la compassion (et de la névrotisation !)  serait énorme. Il entrerait alors dans ce qu'il est convenu d'appeler la position dépressive et pourrait  élaborer des symptômes dans le but de protéger les autres de sa propre destructivité.

  


Dessin 26

 

 

 

 

Entretien 27

 

Il me dessine "un volcan qui explose avec de la lave qui jaillit". La maison qu'il habite avec sa mère et sa soeur prend feu, mais elle est vide : ils sont partis tous les trois se promener. Au retour ils sont touchés par la lave : "On fond, on n'existe plus, on est en lave". Il exprime sans doute là encore la peur que lui inspire la violence qu'il sent au fond de lui, mais on parle aussi de "fondre en larmes" ou de " fondre devant ou pour quelqu'un". Quant à moi, ce volcan m'évoque  la mère telle que j'ai vu la voir lors de ses accès pathologiques. On peut se demander si la violence de Maurice n'est pas, pour une part,  le retour d'une   violence qu'il aurait subie, du moins en tant que spectateur  ?

 

Puis il dit que son père l'énerve, qu'il fait des cauchemars quand il dort chez lui, que sa sœur l'accuse pour qu'il soit puni et qu'il n'apprécie pas la présence d'un homme auprès de sa mère. Rien ne va comme il veut. Etre face à une réalité qu'il ne maîtrise pas, le déstabilise et le rend agressif.

 

A la fin de l'entretien il se donne des coups de poing dans le visage et se gifle, puis il explose et déverse sur moi sa haine et sa violence : la métaphore du volcan est bien choisie.

 


Dessin 27


 

 

 

Entretien 28

 

Maurice me raconte que son père l'insulte et l'humilie, qu'il le traite d'idiot et de crétin. Le comportement de cet homme, dont on ne peut pas nier l'affection qu'il porte à son fils, illustre bien l'impasse à laquelle peut mener l'amour quand sa composante narcissique est hypertrophiée. L'enfant représente alors  pour son procréateur, qui ne supporte pas l'image qu'il a en face de lui, un échec de plus. L'utilisation de violences psychologiques dans le but de normaliser un tel enfant produit l'effet inverse. Il serait bon que certains prétendus spécialistes de l'enfance en aient conscience.

 

Maurice est en colère contre sa mère :"Elle m'a dit non. Je ne mettrai pas de fleurs sur sa tombe.", dit-il.

 

Il reparle de son projet d'acquérir un poisson pour avoir un animal de compagnie. Il s'imagine en train de le nourrir alors que sa sœur veut le "tripoter".

 

Il me dessine "une voiture qui tue tout le monde". " Je suis le responsable de cette voiture, dit-il. Je roule sans ceinture … Je roule très, très vite. Je suis super-fou. S'ils m'énervent je suis obligé de les écraser.  Je suis un as du volant. Ils vont me casser ma voiture, me taper. Je suis obligé de leur foncer dedans, sinon ce sont eux qui vont me foncer dedans.  S'il y a des policiers je les écraserai."  Cette violence meurtrière qu'il sent en lui est d'abord destinée à éliminer tout obstacle, matériel ou humain, qu'il trouverait sur son chemin. Ce n'est que secondairement qu'elle remplit une fonction défensive  face à une menace qui viendrait des autres. Mais il n'y a pas de réelle différence pour lui entre un obstacle qui pourrait venir porter limite à sa toute-puissance et une agression.

 

Ensuite Maurice dit qu'il va me tuer car il en a marre de me voir.  Puis il parle de casser l'école avec la voiture pour être en vacances.

 

Pour terminer, il m'arrache le stylo de la main et le lance par terre en disant : "Va le chercher mon chien ! ". C'est évidemment de la provocation. Mais je pense que ce garçon a dû être traité plus d'une fois comme un chien ou assister à de telles scènes. Il est aussi le produit d'une société qui est allée jusqu'à faire de l'humiliation d'autrui un spectacle. D'un autre côté, on peut observer des soignants  devenir maltraitants à force d'être humiliés et violentés par leur hiérarchie, quand ce n'est pas par leurs collègues. Les institutions psychiatriques sont un bon observatoire  des processus de déshumanisation et de leurs conséquences.  Celles-ci sont terribles quand il s'agit d'un jeune enfant. Encore que l'on peut faire décompenser un adulte et le conduire au suicide, sous prétexte de le soigner.

 

 

Dessin 28

 

 

 

 

Entretien 29


La mère me décrit une situation catastrophique. La sédation attendue des neuroleptiques n'est pas au rendez-vous. Le  comportement de Maurice peut varier de façon impressionnante d'une semaine à l'autre, apparemment en fonction de ses seuls   interlocuteurs.

 

A l'école, il joue au lieu de travailler et attaque les autres élèves. Il aurait essayé d'étrangler une fillette et toucherait le sexe des garçons dans les rangs. A la maison, il attaque sa soeur, "sans raison",  dit la mère.

 

En même temps, j'apprends que le père aurait dit une fois de plus qu'il ne voulait plus voir son fils. Il l'aurait traité de nul et refuserait de lui parler quand il téléphone à sa fille. Maurice affirme de son côté qu'il ne veut plus voir son père, ni lui parler. Le rejet est mutuel. Un conflit oppose les parents à propos des prochaines vacances. Ils se montrent aussi insupportables que leurs enfants, même si le comportement de la mère est actuellement moins perturbé. Est-ce que cette situation familiale difficile suffit à expliquer la recrudescence des symptômes chez un enfant qui présente une fragilité identitaire qui le rend particulièrement sensible à son environnement, et qui est fatigué de la folie des adultes  qui ne cessent de le  déstabiliser ?

 

 

Entretien 30

 

Mère et fils sont particulièrement agités à leur arrivée. "J'en ai marre d'elle, elle m'a énervé. Je ne veux plus lui parler. J'ai fait des bêtises et elle m'a disputé", dit Maurice qui m'explique qu'il a "tiré sur l'écharpe d'une fille" et qu'il est accusé d'avoir voulu l'étrangler.

 

Seul avec moi il dessine un ciel avec une étoile filante, un feu d'artifice et une maison dans laquelle il habite tout seul. C'est le Nouvel An.  Maurice répète avec tristesse qu'il est nul et que sa mère est méchante, qu'il voudrait qu'elle parte vivre dans un hôtel jusqu'à la fin de sa vie et que son copain parte aussi, mais pas au même endroit. "Je ne veux pas qu'elle soit heureuse avec lui", dit-il.

 

 

Dessin 30

 

 

 

 

Entretien 31

 

Maurice se dessine marchant sur un pont en compagnie de sa soeur. Ils vont acheter des billets pour prendre le bateau. Tout en me disant qu'on allait me mettre un bonnet d'âne, il parle des "plaques de matripulation" que leur donne la caissière. Je n'arrive pas à lui faire préciser ce qu'il entend par là, et en particulier s'il veut  parler  d'immatriculation ou de manipulation ? En tout cas, nous retrouvons dans ce néologisme le signifiant "mater", la mère. S'agit-il alors d'une immatriculation de la mère, de fixer son identité ? C'est  fort possible. Elle aurait bien besoin, comme son fils,  de savoir qui elle est. Il est peut-être aussi question d'une immatriculation/manipulation par le signifiant maternel, le signifiant de son désir ? Une telle identification aurait l'avantage de l'arrimer, de mettre un peu d'ordre dans son monde et du sens dans sa vie. Mais en même temps ce serait, pour lui, se perdre encore un peu d'avantage.

 

Ensuite Maurice se montre agressif à mon égard, me lance un stylo à la tête en disant que je l'énerve, puis il m'insulte. Il m'appelle "duc" (le "trou" a été perdu ou refoulé en cours de route : " trouduc") . Il dit encore que je pue et que je suis une pute comme son père, sa mère et sa sœur, puis il parle de me mettre à la décharge. Je ne puis qu'attendre qu'il épuise sa haine.


A la fin de l'entretien, il réalise un avion en pliant une feuille de papier et le couvre de taches, m'expliquant qu'il s'agit de "fractures réparées". Voilà qui justifie à mes yeux le fait que je laisse cet enfant exprimer ce qu'il a à dire, me contentant de mettre des limites à ce qu'il fait quand cela s'impose. Certains voient dans les attitudes de neutralité et d'abstention un manque d'autorité car elles contrastent avec la manière habituelle de faire en psychiatrie où dominer et maîtriser le patient, même  enfant, restent des priorités. Ils considèrent un peu trop facilement qu'entraver un malade qu'ils considèrent comme étant "fou à lier" est la bonne réponse en attendant que les neuroleptiques fassent leur effet de "soumission chimique". Le travail entrepris  avec Maurice, et beaucoup d'autres, montre qu'une certaine permissivité est par contre l'attitude qui convient pour mener une psychothérapie. Il s'agit de libérer la parole et non de l'entraver. Dans le cas présent, c'est une certaine solidarité au sein de l'équipe soignante, ceci malgré des conceptions pouvant être divergentes, qui a permis une telle démarche. Cela est devenu assez rare pour mériter d'être signalé dans le contexte d'une psychiatrie qui donne souvent l'impression que  n'importe qui fait n'importe quoi, surtout quand il s'agit  d' enfants.

  

Dessin 31


 

 


Entretien 32

 

Maurice continue à serrer le cou des garçons plus petits que lui ou des filles. En ma présence sa mère fait semblant de l'étranger, "pour rire", dit-elle après coup. Elle peut être aussi étonnante que son fils ! Il n'est pas rare que des parents, à des fins supposées pédagogiques, fassent subir à leurs enfants les agressions que ceux-ci commettent  sur d'autres : mordre ceux qui mordent, par exemple, en expliquant que c'est "pour  leur montrer ce que ça fait ". Mais ils ne présentent pas leur acte comme étant un jeu,  ils ne parlent pas de le faire "pour rire". Nous n'en sommes heureusement pas là et en restons au niveau du geste.

 

Il me dit :"Les méchants, tu les tues". Puis il repart à l'attaque et me demande de le tuer.  A ces moments-là on peut comprendre que son entourage puisse vouloir s'en débarrasser car il est alors totalement insupportable. Certains pourraient même avoir  à l'occasion envie de l'étrangler. Si cet enfant exorcise, en les reproduisant (à défaut de remémoration), les maltraitances  qu'il a pu voir et subir, la réponse qu'il attend en retour,  à ce qui n'en est pas moins une violence réelle, ne peut qu'interroger.

 

Il me dessine "une grue qui creuse la montagne. Ils virent la montagne pour mettre un étang. Pêcher c'est pas interdit."

 

Puis il  dit qu'il n'est pas né à Cigoland, un parc d'attraction présentant des cigognes, que "c'est la maman qui avale la graine qui va donner le bébé". Quant au papa, "il amène la maman à l'hôpital où on lui met la graine".

 

 

Dessin 32

 

 

 

 

 

 

Entretien 33

 

Les premières semaines de la rentrée scolaire se passent bien. "C'est un nouveau Maurice", dit la mère qui se plaint du comportement jaloux de sa fille qui ne supporte pas le  nouveau regard  qu'elle porte sur son fils, et qui se venge.

 

Pendant la séance, il réalise un avion en papier sur lequel il inscrit le chiffre 119. Il explique : "C'est pour appeler si un adulte frappe un enfant." Le tiers qu'il a symbolisé, le 119, est supposé le protéger des adultes qui voudraient lui infliger une punition corporelle. Sa position est ambiguë :  se sachant protégé par la loi d'une violence punitive, il s'imagine pouvoir faire tout  ce qu'il veut. En tant qu'enfant la loi le protège et il est protégé de la loi.

 

Il dessine "un enfant qui prépare un piège pour attraper un poisson qui est dans un aquarium alors que c'est interdit. Puis cet enfant met le poisson au bout d'une canne pour faire croire qu'il l'a attrapé dans une rivière". Un deuxième personnage qu'il dit être sa sœur veut faire de même. Puis tous deux se vantent d'avoir pêché un poisson. Il ne s'imagine pas capable d'attraper un poisson autrement qu'en trichant et ne veut pas courir le risque d'un échec.

 

Il termine l'entretien en parlant d'inventer une potion susceptible de rendre gentil. Il ne précise pas qui il veut rendre gentil, mais je l'imagine prêt à goûter sa mixture.

 

  

Dessin 33


 

 

 

Entretien 34

 

Maurice dessine (dessin 34-1) un gâteau d'anniversaire portant deux chiffres 8 surmontés chacun d'une bougie  et cinq petites bougies. Il ajoute  la lettre M (cette lettre n'a évidemment rien à voir avec son prénom, puisqu'il ne s'appelle pas Maurice). Il s'agit d'un anniversaire, mais il ne sait pas de qui. Le gâteau et la lettre le font penser à son papi,  décédé, selon lui, à l'âge de 98 ans, et qui en aurait maintenant 100 dans sa tombe. Comme il vient d'avoir 8 ans, on peut aussi  penser que c'est de son anniversaire dont il est question ici. Il y aurait alors un gâteau pour deux anniversaires : celui d'un mort ou d'une mort, l'autre d'une naissance.

 

Il n'est pas impossible que la lettre M renvoie au signifiant "mère".  Toujours est-il que dans ce qui se dit autour et à travers ce dessin, naissance et mort se confondent, ce qui n'a rien d'inhabituel au niveau de l'inconscient.

  

Dessin 34-1

 

 

 

Pour terminer, il dessine (dessin 34-2) "un billet de banque géant de 10 euros". Jusque-là, l'argent ne faisait pas trop partie de ses préoccupations, mais il est étroitement lié à la profession de sa mère, il en est même le symbole. En tout cas, Maurice sait que je garde ses dessins et il me laisse son faux "billet de banque"  en partant, mais cela n'a rien, à mon avis, d'un paiement symbolique.

 

 

Dessin 34-2


 

 

Entretien 35

 

En arrivant il m'annonce avec fierté qu'il a photocopié des billets de banque. Cela lui permet de jouer en même temps à la maman et au faux-monnayeur. Il me demande ensuite de mettre ses dessins dans sa tombe et me traite de cannibale dégoûtant.

 

Puis il se tape violemment le visage avec une poupée Barbie pour essayer ensuite de la déshabiller en racontant qu'il a vu une femme nue sur la plage cet été. Il  crie en disant que je n'ai rien dans la tête, mais que lui a du français et des maths. Il dévie sur moi, comme s'il s'agissait de projectiles, les réflexions blessantes que d'autres lui ont adressées. Apparemment ça lui fait du bien, peut-être parce que mon absence de réaction lui confirme qu'il ne s'agit là que de mots.

 

Maurice met brusquement un terme à l'entretien et retourne  dans la salle d'attente où l'attend sa mère qui lui dit qu'elle a tout entendu. L'absence d'insonorisation des locaux est un véritable problème. Heureusement, aux heures où je rencontre cet enfant, il y a rarement quelqu'un dans la salle d'attente. La plupart du temps il est amené par un taxi qui le dépose pour revenir le chercher à la fin de la consultation.

 

 

Entretien 36

 

L'éducation nationale et la mère sont en émoi, Maurice aurait touché les "parties génitales" de deux filles à l'école. Il m'explique que son geste a été  une vengeance :  elles l'auraient appelé "Mauricette".

 

Sa mère l'accuse  d'avoir mis sa main dans la culotte de sa sœur. Il lui répond qu'elle a "mal vu". Il continue à questionner à travers son comportement la réalité de la différence des sexes, et à se chercher une identité. Pourtant il nie être curieux de l'anatomie génitale des filles. S'agit-il alors de vérifier ce qu'il sait déjà ? une réalité qu'il redoute ?

 

Il me raconte avoir dit à sa mère qu'il en avait assez d'entendre des voix, "ce sont des voix inconnues, me précise-t-il. On dirait que ce sont des monstres qui parlent." Personnellement je ne crois pas à des hallucinations, je pense plutôt à des illusions générées par de fortes angoisses.

 

Maurice m'interpelle : " Pourquoi tu me regardes comme ça ?" Puis il joue le monstre en m'expliquant : "Si t'es pas sage les monstres t'embarquent et t'emmènent dans un autre monde. Et tu ne peux plus revenir." Il me demande si on coupe la main des voleurs et si la fin du monde est pour bientôt. Puis il parle de la guillotine et veut toucher ma tête tout en disant que j'ai peur de la fin du monde mais pas lui.

 

C'est bien la première fois que je l'entends exprimer tant d'angoisse et de culpabilité,  tant de souffrance face à son comportement et aux pensées qui l'agitent.

 

Il me dessine un avion en flammes : "C'est pas un accident, c'est voulu. Un feu d'artifice a été tiré dessus."

 

Dessin 36

 

 

 

 

 

Entretien 37

 

La situation ne s'améliore pas, avec en toile de fond les éternels conflits qui opposent les parents et  dont Maurice est rendu plus ou moins responsable.

 

Face au tableau désastreux qu'en fait sa mère, il se cache sous son blouson, puis sous la table. Éprouverait-il de la honte ? En tout cas, ainsi doublement caché à notre regard,  il  explique :"Je suis dans le noir complet … Je reconstruis ma maison."  Il a effectivement besoin  de se reconstruire et d'une lumière pour le  guider. Il essaie d'imiter mon écriture, puis fait semblant d'écrire en braille en déclarant qu'il est aveugle. Si le rôle des parents peut être de  guider leurs enfants, un psychologue ne saurait occuper cette place à moins qu'il ne se complaise dans le rôle du berger, mais on sait où cela mène, surtout quand le pasteur se métamorphose en guide.

 

Maurice me demande pourquoi je parle si peu, il s'inquiète de savoir si je suis fâché.

 

Il dessine un avion qui brûle et explose. Les passagers vont mourir sauf quelques-uns qui sautent en parachute, dont le pilote, lui et sa mère. Son père et sa sœur meurent dans la catastrophe.

 

A la fin de l'entretien il me dit qu'il est un piranha et me demande :"Tu as déjà vu un assassin ? J'en suis un."

 

Comment un enfant de 8 ans et quelques mois peut-il s'imaginer être ou vouloir être un assassin ? Est-ce en lien avec son comportement et le discours des autres ou le retour de tous ceux qu'il tue dans ses dessins ? Il ne cache pas sa haine et ses fantasmes concernant son père et une sœur qui ne lui facilite  pas la vie. Selon la mère, elle l'humilie et continue à faire des "bêtises", rien que pour le faire accuser.

 

 

Dessin 37

 

 

 

Entretien 38

 

En arrivant, Maurice me montre une poubelle en papier qu'il a construite et me dit qu'il a   "mal au bidon".  Alors que je lui demande  ce qu'il en est de son ventre,  il me  répond : "On prend le scalpel, on ouvre et on sort le bébé". Il rit en s'imaginant me mettre dans un broyeur pour faire du compost. A travers moi c'est évidemment de lui dont il est question. Nous retrouvons là les équations symboliques : ventre=poubelle, bébé=déchet.

 

Il me pose une devinette : "Je dessine quelqu'un que je déteste et c'est qui ? " Je lui fais remarquer qu'il fait tout son possible pour être détesté. En riant, il me répond qu'il est un génie.  Je lui demande sur le ton de la plaisanterie s'il est sorti du ventre de sa mère ou de la lampe d'Aladin. En réponse, il me dessine une casserole de spaghettis sur une plaque de cuisson. "C'est un fantôme qui les a faites, dit-il en faisant "miam miam". On ne le voit pas. Il veut manger mais ça sort de tous les côtés parce qu'il n'a pas de corps." On peut supposer que c'est de lui dont il parle quand il évoque l'impossibilité de contenir et de se contenir faute d'un espace psychique suffisamment limité. Il s'agirait donc de trouver ou de se donner un corps pouvant lui assurer une unité et le faisant objet du regard.

 

Ce que cet enfant nous décrit c'est l'échec du stade du miroir : sans corps il ne peut pas y avoir  d'image spéculaire ni de regard  structurant porté par l'Autre. En même temps, étant invisible, il peut tout se permettre puisqu'il se trouve ainsi libéré de ce même regard  des autres.

 

Dans une deuxième casserole un fantôme, complètement invisible, fait cuire des engrais pour tuer les humains.

 

Il dit qu'il est le "bon" fantôme, mais je pense que d'une certaine manière il se projette aussi dans le "mauvais", détruire l'humanité faisant partie de ses fantasmes habituels. Il me raconte encore qu'une mère fantôme a fait de lui un fantôme.

 

 

Dessin 38

 

 

 

 

Entretien 39

 

Tout va mal, à l'école comme à la maison. Maurice dit à sa mère qu'il ne l'aime pas et qu'il aurait préféré ne pas naître. A la piscine, il a "coulé" plusieurs enfants et craché sur d'autres. Il a l'impression qu'on se moque de lui et répète qu'il ne veut pas être aimé.


Selon lui, ses médicaments  ne servent à rien. Il n'en veut plus et parle de  les cracher dans le lavabo (c'est ce que font certains malades à l'hôpital psychiatrique). Puis il me dit qu'il est "sanglant" (on pourrait entendre "sans gland"). En prononçant ces mots, il tombe de sa chaise, une chute apparemment involontaire.

 

Maurice me dessine un avion en flammes. Il s'imagine sauter en parachute avec sa mère, alors que sa sœur et le compagnon de sa mère restent dans l'avion. Au sol, il y a de la lave. Ils tombent sur un gros caillou qui les maintient en dehors de cette lave, mais ce rocher est en train de fondre. Voilà qui illustre bien ses désirs et ses angoisses.

 


Dessin 39-1

 

 

 

 

 

Dans un deuxième dessin, il représente un marchand qui fabrique et vend des bonbons au citron parce que les bonbons à la cerise sont interdits. Au milieu des bonbons il y a en un  intrus, un qui n'aurait pas dû être fabriqué. Ce dernier nous renvoie évidemment à sa propre histoire.

 

 

Dessin 39-2

 

 

Entretien 40

 

La situation ne s'améliore pas. Maurice est en ébullition. Il me dit qu'il doit sortir du lit de sa mère parce  qu'il y a  un homme qui dort avec elle. Son dessin, "un volcan  avec plein de jets" dévoile la dimension sexuelle et phallique d'une violence manifestement œdipienne.

 

 

Dessin 40-1

 

 

 

 

Puis il écrit sur un mouchoir en papier à l'intention de sa mère : "Je n'en peux plus de vous.  Je vous aime, mais j'en ai marre."    


Il peut parler maintenant de cet amour qu'il dénie à travers ses "troubles des conduites". En avouant qu'il puisse aimer et être en manque d'amour, il s'accepte comme tel. D'une certaine manière, il fond et sa foi dans sa haine se trouve ébranlée. A partir de là, il lui sera peut-être possible de se construire une identité sur la base d'une vérité et non d'un mensonge.    


Dans un deuxième dessin, il représente "une maison avec un monsieur (il dit qu'il s'agit  de moi) qui répare une voiture. Dans l'herbe il y a une chenille (lui) qui construit sa maison sur un œuf de Pâques. Elle se transforme en papillon. Il y a une autre chenille qui est sa sœur Lola. C'est la famille chenille. Sa mère est un papillon. Plus tard sa sœur en sera un elle aussi. Chacun s'envole de son côté, mais leur mère est grosse et ne peut pas s'envoler, elle se fait attraper par le chat." Il me dit encore que les papillons n'ont que "vingt jours de vie".

 

 

Dessin 40-2

 

 

 

 

Il termine l'entretien avec une question bien étrange :"Si on enlève la coquille d'un escargot est-ce qu'elle meure ?" Je lui demande s'il veut parler de la mort de l'escargot ou de celle de la coquille. Sa réponse ne me renseigne pas sur ce qu'il a voulu dire. Par contre, il semble que la relation de l'escargot à sa coquille ne soit pas très claire pour lui. Apparemment il conçoit  la coquille comme étant un être vivant, ou du moins  un organe. Nous  pourrions humaniser la question de Maurice et la reformuler : "Si on enlève la mère à l'enfant est-ce qu'elle meure ou est-ce l'enfant qui meure, ou les deux à la fois ?"

 

Nous avons vu plus d'une fois que le comportement maltraitant de cet enfant pouvait être interprété comme étant une attitude défensive, une coquille le protégeant de ses "ennemis", ces derniers étant ses propres sentiments avant d'être les autres qui le frustrent, le contrarient ou qui ont simplement pour lui l'inconvénient d'exister. Mais le terme de "coquille" a bien d'autres significations, et tout particulièrement celle d'erreur typographique. Maurice a dans l'histoire de sa famille une place que l'on peut comparer à une erreur, une erreur de programmation, donc d'écriture, un lapsus en quelque sorte. Non seulement il n'était pas souhaité (du moins par son père), mais il symbolise pleinement l'échec, la "coquille", du couple parental.

 

Dans cette logique,  le comportement pathologique, comme coquille défensive, peut être interprété comme étant un substitut symbolique de la mère.

                                                                                                                

 

Entretien 41

 

Maurice dessine une maison avec un bonhomme qui pêche dans un étang et des arbres.  Je lui demande à quoi correspond le rond brun qui figure au milieu de chaque tronc d'arbre et qui  sert habituellement à représenter une blessure d'élagage. Il me répond que "tous les arbres ont ça", mais il ne peut pas en dire plus. J'émets l'hypothèse qu'il pourrait s'agir de la cicatrice laissée par une branche coupée comme le nombril après la chute du cordon ombilical. Là, il s'agite et me dit que rien n'a été coupé au niveau du nombril. Je lui parle donc du cordon ombilical qui est coupé à la naissance et du nombril comme étant la trace laissée par sa chute. En réponse il m'accuse de mentir, dit que je le prends pour un con et se met à pleurer. Une fois calmé, il me reproche de le traiter comme un chien, il se plaint que tout le monde le traite comme un chien, que sa mère lui dit "ne me parle pas comme à un chien".

 

L'idée que quelque chose ait pu être coupé ou soit tombé au niveau du corps, en tout cas qui manquerait, le met dans un état d'excitation surprenant. Il en parle à sa mère qui n'y comprend rien et qui me répète que les arbres n'ont pas de nombril. Manifestement elle ne saisit pas davantage que son fils la métaphore de la branche coupée.

 

Dessin 41

 

 

 

 

 Entretien 42

 

La mère accompagne son fils et me montre la photo d'un arbre dont le tronc porte une blessure d'élagage. Elle veut me convaincre que cela n'a rien à voir avec la cicatrice d'une branche coupée et que son fils a raison. Donc rien n'aurait été coupé à l'arbre ou en serait tombé. La question de la métaphore de la section et de la chute du cordon ombilical est complètement éludée.

 

L'attitude de cette mère  dépressive ne peut qu'amener à se demander comment elle a vécu la naissance de son fils et si le déni de la castration ne vient pas d'abord d'elle.

 

Pendant ce temps Maurice tape sa mère avec une feuille de papier qu'il a enroulée sur elle-même et joue à la fouetter en répétant "fouet" ("fou est" ?). Pour plaisanter il dit qu'il n'a plus de père ni de mère, qu'il les a fait disparaître, qu'ils sont dans une boîte de conserve avec le requin qui les a mangés.

 

Il n'a plus vu son père depuis 4 mois et dit qu'il va le remplacer par un robot qu'il pourra diriger, et qu'il fera de même avec sa mère après l'avoir jetée aux requins. Ni la mère ni moi ne réagissons à un discours que nous n'avons que trop l'habitude d'entendre.

 

Il me dessine un bateau ayant à son bord une mère et ses enfants (sa sœur et lui)  pêchant la raie. Dans une seconde version de son dessin, il ajoute le nouveau compagnon de sa mère qui les accompagne et une barque sur laquelle se trouve un étranger. Un requin attaque cette barque et la "fracasse". "Un requin ça a pas de cerveau", dit-il, en faisant semblant d'être un requin et de m'attaquer. Les mêmes fantasmes sont toujours là, mais ils sont exprimés dans un registre ludique authentique, sans violence réelle.  

 

Dessin 42

 

 

 

 

Entretien 43

 

Comme souvent, la séance commence par les plaintes de la mère. Maurice aurait dit que si sa sœur ne quittait pas la maison cela n'irait jamais mieux. Il a mis des caméras en papier dans toutes les chambres prenant ainsi le relais de son père qui avait fait de même avec de vraies caméras. Pendant que sa mère parle, l'enfant  imite mon attitude et fait semblant de noter tout ce qu'elle dit. Il joue au psychologue.

 

Seul avec moi il pousse des cris et m'explique que c'est pour meubler le silence. Toujours par jeu il s'approprie mes cartes de visite et fait semblant de me tuer en disant qu'il ira jusqu'au "bout du monde" pour échapper à la police.

 

Il veut ma place, et pour cela il faut que je disparaisse. Pour lui deux psychologues, deux mêmes, c'en est un de trop. Il reproduit ce qu'il fait chez lui où il a pris, ou essaye de prendre, la place de son père absent. Les compagnons de la mère ne sont pas de taille à rivaliser avec lui.

 

Il dessine un château fort et me parle de "meurtres" à propos des meurtrières. "Il faut fermer la porte, dit-il. Ils tirent sur les gardes et veulent entrer. Mais ils peuvent détruire le château, il n'y a plus personne dedans, on s'est sauvés et cachés". Pour finir il met un bracelet sur sa tête en disant qu'il est le roi du château. Il ajoute que quand il aura cinquante ans je serai mort. L'escargot a abandonné sa coquille, la forteresse est vide et l'ennemi peut la détruire. Les fantasmes paranoïdes n'ont rien de spécifique. Mélanie Klein les place au début de la vie et Lacan nous dit que " Le premier objet qu'il (le sujet) propose à ce désir parental dont l'objet est inconnu, c'est sa propre perte - Veut-il me perdre ? Le fantasme de sa mort, de sa disparition, est le premier objet que le sujet a à mettre en jeu dans cette dialectique," ("Les quatre concepts ...", pages 194/5). Une histoire difficile a donné à Maurice de bonnes raisons de se sentir en insécurité, renforçant ainsi ses angoisses d'anéantissement. 

 

 

Entretien 44

 

Il dessine "le fond de la mer avec un poisson clown qui est le roi et qui va dans son palais. Arrive un poisson sabre qui est un voleur et qui veut tuer le roi pour lui voler ses richesses." Il dit qu'il m'imagine dans le rôle du poisson clown et lui dans celui du poisson sabre. Cette image du roi-bouffon est intéressante par ce qu'elle nous dit de l'image du père.

 

Je lui demande qui fait le clown dans le bureau. Il me répond qu'il ne veut pas être le roi du monde. Il joue à me tuer avec une épée en papier qu'il a confectionnée, mais sans essayer de profiter de la situation pour me faire mal.

 

Puis il revient à un de ses thèmes favoris :"je n'aime pas les filles".

 

 

Dessin 44

 

 

 

 

 

Entretien 45

 

La situation est difficile. Maurice a été puni pour avoir attaqué des enfants qui l'embêtaient à la cantine, en réaction il a fugué. Par ailleurs, il a sauvagement agressé sa sœur et donné des coups de pied à sa mère en pleine rue. Avec moi il est particulièrement "casse-pieds",  et je le lui  signifie.

 

Il me dessine "un voleur". "C'est toi, dit-il. Il embarque de l'or avec une machine spéciale qui permet de savoir où est l'or." Puis il parle d'attaquer une banque en passant par  les égouts. Le transfert opère en deux temps : l'enfant projette ses fantasmes sur moi puis il se le réapproprie. De l'un à l'autre, le statut du fantasme a changé. 

  

Dessin 45



 

 

Entretien 46

 

Maurice est  en grande difficulté au  centre aéré où il passe ses vacances.  Il se sent littéralement persécuté par les autres enfants. " Tout le monde m'embête et ça m'énerve. Ils me cherchent. Je le dis aux animateurs qui ne me croient pas. Alors je m'énerve et me mets  en colère." Il interprète le comportement des autres sur le modèle du comportement de sa sœur à son égard et que lui-même répète avec les autres.

 

Il me dessine le podium d'arrivée du Tour de France. Le vainqueur, d'abord dessiné en jaune (le       "maillot jaune") est recouvert d'une couche de couleur rouge. Le deuxième au classement, en jaune, prend sa place. Le premier arrivé représente sans doute sa sœur aînée qu'il aimerait effacer pour prendre sa place.     


A la fin de l'entretien il me demande si j'ai la réponse à l'énigme que  le sphinx a posée à Œdipe.  Il menace de me dévorer si je m'en montre incapable. "Je serai peut-être le prochain sphinx, dit-il. Comme ça, je ne mourrai pas de faim, j'aurai à manger." On est loin d'un Maurice qui mordait les autres. C'est avec un certain humour qu'il met en scène ses fantasmes et exprime sa peur de mourir de faim, peur qui est liée à l'angoisse d'abandon.

 

On se souvient que le sphinx avait le visage et la poitrine d'une femme, les pattes et la queue d'un lion,  les ailes d'un oiseau. : un  monstre à l'identité indéterminée envoyé par les dieux pour punir les humains. L'identité de Maurice n'en est pas moins incertaine, et lui aussi  semble se plaire dans le rôle de "fléau de dieu".


 Dessin 46

 

 

 

Entretien 47

 

Maurice veut que je joue le sphinx et que je lui pose une énigme. De son côté il me propose des énigmes du genre : "Pourquoi est-ce qu'on appelle un mille-pattes, mille pattes puisqu'il n'a que vingt pattes ?"

 

Pendant l'entretien, il exprime plusieurs fois la crainte que le taxi oublie de venir le chercher pour le ramener chez lui. Est-ce de ne pas avoir vu son père depuis plusieurs mois qui a réveillé son angoisse d'abandon ?  Il a malheureusement l'expérience d'attendre un père qui ne vient pas.

 

Il finit par "fondre en larmes" en répétant "on ne va pas venir me chercher, ils vont m'oublier, je ne veux pas être seul". Nous retrouvons la métaphore "fondre en larmes" qui sous-tend l'angoisse de liquéfaction  que cet enfant a pu exprimer à maintes reprises.

 

Son effondrement  est tel que j'en viens à lui dire que s'il y avait le moindre problème je m'occuperai personnellement de son retour au domicile familial. Il me répond qu'il ne me fait pas confiance, que je vais moi aussi le laisser tomber, que personne ne l'aime, etc. On est loin de la présentation habituelle pleine d'arrogance et de provocation. Il a abandonné son blindage maltraitant.

 

 

Entretien 48

 

Il dessine "un soleil qui regarde une piscine. Il a soif, il veut boire. Il prie le Seigneur pour avoir de l'eau". C'est là que j'apprends que sa mère l'oblige à prier tous les soirs, du moins c'est ce qu'il me dit. Il définit joliment le Seigneur comme étant "celui qui reçoit les prières".

 

Puis il fredonne un air de musique. Ce qui évidemment me fait penser à son père qui est musicien. Mais il me dit que cela est sans rapport.

 

Une enquête sociale ordonnée par le juge est en cours. J'apprends que Maurice a vécu un abandon aux premiers mois de sa vie. Par ailleurs, il aurait dit aux enquêtrices qu'il ne voulait plus voir son père. C'est à son tour de le rejeter, c'est le désespoir qui le fait parler. Il récupère ainsi un semblant de maîtrise. Sa fragilité lui impose d'être le maître du jeu.

 

 

Entretien 49

 

La mère a fait une chute et s'est gravement blessée. Étant à la maison elle peut s'occuper davantage de son fils, ce que  la fille ne supporte  pas. Celle-ci fait donc le maximum pour créer des conflits entre Maurice et sa mère. Un de ses jeux favoris étant de faire peur à son frère, elle a réussi à lui faire croire qu'il y avait  des vampires cachés sous le lit.

 

Maurice dessine un volcan avec un oiseau qui passe au-dessus du cratère, et dit : "Il est touché, il tombe dans la lave". Selon notre habitude, je lui propose d'attribuer les différents rôles, comme au théâtre : il imagine sa sœur dans le rôle de l'oiseau et lui dans celui de la lave, sa mère serait le volcan en éruption et son père l'herbe qui brûle et ne repousse plus. La lave destructrice jaillissant du ventre maternel a une forme évocatrice.

 

"Parfois je me fais mal tout seul", dit-il. Je lui demande si c'est pour se punir. Il me répond : "Quelque chose comme ça". 


Les fantasmes de destruction qu'il satisfait dans ses dessins et ses rêveries sont sans doute difficilement dépassables dans la mesure où ils se nourrissent d'un  vécu qui est toujours d'actualité, mais la névrotisation de la problématique se confirme.

 

Dessin 49

 

 

 

 

Entretien 50

 

Il me dit qu'il ne sait pas quoi raconter et propose de dessiner. Il représente deux personnages sous une serre, lui et sa mère. Tous deux sont des archéologues et lui est sur le point de déterrer un squelette qu'on ne voit pas encore. La serre est tendue de  "traits qui servent à se repérer".

 

Dessin 50


 



Les métaphores de l'archéologue et du squelette à déterrer traduisent bien ce qu'il en est d'une démarche psychothérapique. Comme quoi cet enfant a compris le sens du travail que nous faisons ensemble.

 

 

Entretien 51

 

Maurice est calme, un peu trop. Il se plaint de n'avoir rien à dire. Est-ce l'effet d'un surdosage des neuroleptiques ? Ou entre-t-il dans la période de latence ?

 

Il dessine trois arbres avec chacun un rond au milieu du tronc. Il les désigne comme représentant sa mère, le compagnon de celle-ci et lui-même. "On ne peut pas bouger. Nous sommes seuls. Ma sœur n'est pas là. Je voudrais qu'il n'y ait que des garçons sur terre". Il dit ne pas savoir qu'elle est la différence anatomique entre un garçon et une fille alors qu'il a largement eu l'occasion de voir sa soeur  nue. L'angoisse soulevée par la question de la différence des sexes l'a apparemment amené à "oublier" cette réalité. C'est ce qui permet de penser que l'agressivité qu'il a pour Lola n'est pas seulement le fruit d'une rivalité, mais aussi l'expression de sa haine pour une image féminine qui représente la réalisation de la castration.  



Entretien 52

 

Maurice fait semblant de  m'agrafer avec l'agrafeuse posée sur le bureau et de  me couper avec les ciseaux.

 

Il me raconte une histoire qui n'est pas sans lien avec ses propres peurs. C'est celle d'un militaire qui ne voulait pas de son enfant et qui l'a découpé avec un couteau et mis dans un sachet.


Il dessine un soleil qui envoie ses rayons sur la mer, laquelle  n'est pas contente d'être ainsi tapée. Alors des vagues se lèvent et du corail naît de cette colère.


 

Entretien 53

 

Il me dessine "un animal bizarre qui n'a pas de bouche et qui mange en mettant la nourriture directement dans le cerveau. Il n'a pas d'yeux mais une queue imposante." Nous sommes face à une oralité sublimée et une  nourriture spirituelle pour un animal pourvu d'un attribut phallique imposant.

 

Dans l'histoire qu'il me raconte, cet animal n'aime pas être mouillé, mais il a, paradoxalement, le don de faire venir la pluie, et il doit passer par une flaque d'eau  pour rentrer chez lui . Comment se libérer du don de s'attirer des ennuis ?

 

Maurice me parle encore de son papi qui lui a donné un insigne militaire  lui ayant appartenu, et me demande s'il a de la valeur.

 

  

Dessin 53

 

 

 

 

 

Entretien 54

 

Maurice m'annonce qu'il "doit faire un dessin relatif à la neige". Il représente "une maison sous la neige avec des volets en Z". "Za dort", dit-il, en zozotant volontairement. Il me raconte qu'il "zozotait" quand il était petit. Dans la maison il y a la mère et le Père Noël, et dans la chambre du haut, les lutins. Il me raconte que sa mère et son compagnon veulent se marier, mais qu'il leur faut l'accord du juge car il a déjà un père et que, s'ils se marient, il en aura un deuxième. "Deux pères ce n'est pas honnête, dit-il. Je n'ai plus de père." S'il s'imagine la nécessité de l'intervention d'un  juge c'est qu'il a  conscience qu'il y a quelque chose qui cloche dans une logique qui définit le père comme étant le mari de la mère, car il aurait alors autant de pères que la mère de maris successifs. Cette référence au juge situe la Loi comme étant un au-delà du désir de la mère venant limiter sa toute-puissance.

 

A la fin de l'entretien, il tire son bonnet sur sa tête et dit qu'il est un gangster, puis il joue à l'aveugle qui "cherche sa place". Il tâtonne en disant : "Elle (sa place) est devant moi. Non il n'y en a pas. Je suis sûr qu'il y en a une." Le problème de cet enfant  n'est pas tant qu'il n' y ait pas de place pour lui, encore qu'il puisse se l'imaginer, mais plutôt qu'il ne veuille pas de celle que les autres lui assignent. Il se verrait plutôt comme un lutin, un des fils du Père Noël. Ce qui peut-être considéré comme étant un  progrès comparé à l'image du vampire sorti d'un cercueil. Comme Œdipe aveugle, il avance sur le chemin de la vie en espérant rencontrer quelque chose de la vérité de son désir.

 

En partant, il imite l'horloge parlante et dit "ça passe trop vite, tu prends quand ta retraite ?". Là son inquiétude rejoint la réalité. A cette époque je songe à demander ma mise à la retraite, étant  fatigué de nager à contre-courant d'une institution psychiatrique renouant, dans un climat délétère et  sous couvert de modernité, avec les pratiques du XIXème siècle. La psychiatrie actuelle est un des miroirs du virage totalitaire qui menace notre société.

 

 

Dessin 54


 

 

 

 

Entretien 55

 

Maurice se plaint d'avoir de nouveaux feutres. Il n'aime pas les changements et les rentrées scolaires le perturbent. Tout changement signifie pour lui séparation et  perte : il est collé à ses objets, ils font partie intégrante de sa personne.

 

Il veut dessiner "une montagne couverte de maisons, avec à son sommet la maison de Saint Nicolas. Les gens croient que c'est une montagne alors qu'en réalité il s'agit d'un volcan. La lave va remonter et tout le monde va exploser. C'est la fin du monde pour Saint Nicolas et aussi pour le Père Fouettard." Il a une bonne représentation de ce qu'il peut être : un volcan qui dort et qu'il vaut mieux ne pas réveiller.

 

Il s'inquiète de la manière dont je reçois les fantasmes de destruction qu'il exprime. Il met son écharpe sur son visage et déclare qu'il est un bandit. Inquiet, il regarde par la fenêtre et voit au dehors "un monsieur qui paraît méchant", il redoute une punition pour tout ce qu'il a pu me confier.

 

A la fin de l'entretien, il me parle longuement de mon stylo comme étant un outil précieux. 

  


Dessin 55

 

 

 

 

Entretien 56

 

Maurice dessine "de la pluie qui tombe sur un chantier où l'on construit des maisons avec de fausses cheminées. Les gouttes bleues ne touchent pas la construction alors que les gouttes jaunes tombent dessus et mettent le feu." Lui se trouve dans le camion des pompiers qui ont été appelés pour éteindre l'incendie. Avant il allumait les feux (tant au sens littéral que figuré), maintenant il les éteint. L'invention de fausses cheminées laisse songeur. Il y a beaucoup de formes phalliques dans ses dessins, mais là il semble prendre conscience de ce qu'il peut y avoir de (faux)semblant dans l'image phallique : des cheminées inutiles, purement décoratives.

 

Il  casse une branche de ses lunettes en les manipulant. Puis il pique son bras avec un stylo et me regarde en disant : "Tu vois, je me dégonfle". Effectivement, il est moins tendu, moins dur et plus agréable dans ses attitudes.  Il semblerait aussi que ses relations avec sa sœur se soient améliorées, ainsi que son comportement et ses résultats scolaires. Il peut donc se "dégonfler", abandonner sa carapace de caïd, sans se sentir en danger. Evidemment être "un dégonflé" c'est aussi être quelqu'un qui manque de courage, qui n'a pas de c..... Les métaphores sexuelles sont nombreuses dans ce domaine.

 

                                                                                   Dessin 56


 

 

 

 

Entretien 57

 

Une fois encore Maurice se plaint de n'avoir rien à dire et propose de faire un dessin. Il représente "une montagne dont le sommet est couvert de neige et un torrent. Un type veut faire tout ce qu'il ne faut pas ... mettre de l'eau de mer dans le fleuve. Un poisson mort est entraîné vers la mer. Il faut une manette pour arrêter le courant. Le poisson s'arrête. Les panneaux de signalisation "danger" représentent tout ce qu'il ne faut pas faire. Il y a une maison hantée à vendre. Le poisson est mangé par un thon qui est tué et mangé à son tour par des hommes préhistoriques."

 

En réponse à mes questions il me répond que c'est lui qui hante la maison. Il passe le reste de l'entretien à me provoquer et à imiter ce qu'il appelle "un bruit de roulette de dentiste". S'agit-il de me soigner dans la douleur ?

  

Dessin 57


 

 

 

Entretien 58

 

Maurice me conseille de changer la couleur de mes cartes de visite. En réponse à mon silence, il me traite de" fou", disant que je n'écoute rien (il parle d'écouter au sens d'obéir) et que je suis bête. Il veut m'agrafer la bouche et me prescrit un traitement pour que je me taise.

 

Dessin 58

 

 

 


Pour lui,  le but du soin est donc de se taire. Il peint ses verres de lunettes en vert et demande une mitrailleuse pour me tuer en déclarant que "tuer c'est aussi un médicament".

 

La représentation "inhibante-enfermante" que Maurice a du soin psychiatrique est particulièrement réaliste. Son discours ne peut que nous interpeller : dans quelle mesure une psychothérapie qui se propose d'être autre chose qu'une rééducation mentale est-elle conciliable avec le soin psychiatrique ? Si les deux démarches sont généralement considérées comme complémentaires, elles n'en sont pas moins opposées et parfois même conflictuelles.

 

Cet  enfant a bien intégré que les adultes attendent de lui qu'il soit docile et performant. C'est aussi ce que la société exigera de lui quand il sera adulte. Le succès de la psychiatrie est intimement lié à son allégeance à une conception politique du soin où santé rime avec "normalité", une normalité évidemment définie pour le "peuple" par ceux qui ont le pouvoir. 

 

Dans le jeu qu'il me propose, il s'imagine m'imposer ce que les autres (en l'occurrence ceux qui le soignent) lui font subir, et met ainsi en scène une identification à l'agresseur (ou vécu comme tel).

 

Quant à l'idée que tuer est un médicament, on peut se demander pour qui : la victime ou l'auteur de l'acte ? 

 

 

Entretien 59

 

Maurice arrive très en colère. Sa mère, qui avait arrêté le traitement par neuroleptiques,  l'a amené chez son médecin  pour qu'il lui remette du Tercian.

 

Il me dessine un volcan qui explose en me disant : "Tu es le volcan qui explose et moi la lave. Tu vas finir en morceaux et moi en pierres." J'ai donc pris la place de la mère dans cette métaphore du volcan et de la lave qui en jaillit.

 

 

Dessin 59



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Tout en  recouvrant le verre de sa montre d'une bonne couche de  feutre vert, il me reproche de le mettre en colère. Puis, il veut peindre en vert les verres de mes lunettes. Comme je refuse, il essaie de me les arracher. Les mots ne suffisant pas à mettre de la distance, je suis obligé de le repousser pour qu'il retourne à sa place. Mon but est évidemment de préserver mes lunettes, mais en agissant ainsi je réaffirme aussi qu'il y a dans le bureau deux espaces distincts occupés par deux personnes différentes. Mais rien n'y fait. De retour sur sa chaise,  il peint son bras en vert en disant : "C'est toi le monstre vert, je me transforme en toi. Je vais te tuer". Maurice transfère sur moi l'image connue d' un super-héros appelé Hulk qui, sous l'emprise de la colère ou du stress, se transforme en "monstre vert". Il projette sur moi son identification au "héros" vert, pour ensuite s'y reconnaître. Mais pourquoi le fantasme de me tuer ? Là encore sans doute parce qu'il ne saurait y avoir deux Hulk ? Ce qui dépasse de loin la représentation habituelle de deux individus se battant pour une seule et même place.

 

A la fin de l'entretien, il se colle sur la tête un papier sur lequel il a inscrit au préalable "jambon" et chante joyeusement "Je suis un jambon pourri". Donc "bon" et "pourri" à la fois.  Sans doute qu'il pourrit parfois la vie à son entourage ! Il exhibe avec fierté une représentation de lui-même qui peut paraître extrêmement dévalorisante. Est-ce parce que se dire incomestible à quelque chose de rassurant dans son fantasme ? Mais quelle  place notre société réserve-t-elle à une "pourriture" ? En psychiatrie, souvent considérée comme étant la poubelle de la  société ?

 

 

Entretien 60

 

En entrant, Maurice retourne ses lunettes comme si sa tête était posée à l'envers. Il joue là encore une métaphore de la déraison. Puis il me demande si mes vaccinations sont à jour (sa mère lui a fait refaire ses vaccins). Il m'imagine ligoté, servant de cible à des seringues devenues flèches et fléchettes. C'est avec plaisir qu'il se voit dans le rôle du tortionnaire, tout en répétant "avoue, avoue". J'apprécie énormément qu'il puisse se contenter d'une satisfaction imaginaire de ses fantasmes sadiques.

 

Il dessine "une maison qui vient d'être construite et que des copains veulent vendre pour se faire des sous. Mais il manque des jeux pour les enfants et ils n'ont pas assez d'argent pour en acheter. Alors ils creusent et trouvent de l'argent pour acheter une balançoire. Mais une seule ne suffit pas parce qu'il y a trois enfants. Alors ils achètent un toboggan avec une carte de crédit. Mais il manque toujours une piscine et ils manquent d'argent. Alors ils trouvent de l'or et achètent une piscine, mais il manque le terrain…" Cette histoire d'un manque sans fin illustre bien la symbolisation d'un manque que rien ne viendra jamais combler.

 

Maurice continue en me disant : "Il me manque un bras. Je n'en ai que deux, je ne peux pas tout faire à la fois". L'émergence de telles figures du manque est un moment important dans l'évolution de cet enfant puisqu'elles viennent métaphoriser des limites qui ne trouvent pas leur cause dans un obstacle extérieur, mais dans le sujet lui-même. Le troisième bras, dont il dit qu'il lui manque, est semblable au Phallus, moins phi, signifiant du manque à être.


 

Dessin 60


 

D 61

 

 

Entretien 61

 

Maurice, qui a maintenant 9 ans et demi, entre dans le bureau en chantant. Il dit qu'il n'aime pas ma musique, ni les musiciens.  

 

Il dessine "une  maison inondée sous la pluie et qui va se casser. Ceux qui l'habitent vont se noyer." Il ajoute une  deuxième maison "qui est neuve, il y a quelques gouttes qui tombent dessus et ceux qui l'habitent appellent les pompiers". Dans la première maison, il y avait son père et sa sœur. Ils sont morts à l'arrivée des secours.  Lui habite dans la deuxième avec sa mère et son compagnon.      

 

Je lui fais remarquer que son dessin réalise ce qu'il pense être son  vœu le plus cher : être seul avec sa mère (et un homme qui ne compte pas). En réponse, il se cache sous la table et chuchote : "Je suis parti, personne ne me voit." Je lui réponds que je l'entends. " C'est pas vrai, dit-il, c'est pas ma voix." Il se cache de honte de voir son secret (de polichinelle) découvert. 

 

Dessin 61

 

 

D 62

 

 

Entretien 62

 

Maurice dessine "un moulin avec l'eau qui coule en arrière, l'eau remonte dans les tuyaux et ça fait des fuites. C'est un vieux moulin abandonné qui n'a plus de propriétaire, il est tout seul. L'ancien propriétaire avait fait un tas de terre et fait pousser de l'herbe dessus, après il y a creusé un appartement et a mis une porte. C'était sa deuxième maison, enterrée, sous la terre. Il reste des balançoires qui sont cassées sauf une. Le propriétaire est mort, il s'est enterré tout seul."

 

Si l'eau  coule à l'envers c'est que nous remontons dans le temps. Ce moulin abandonné qui tourne à l'envers est une bonne illustration de l'état psychologique de quelqu'un qui a abandonné son identité, son désir et par là même sa vie, pour aller s'enterrer plutôt que d'affronter  une réalité  difficile. S'enterrer pour se mettre à l'abri d'abord, puis pour y mourir. C'est évidemment de la mort du sujet dont il question ici.

 

  

Dessin 62

 

D 63

 

 

Entretien 63

 

Maurice dessine une piscine et quatre personnages :  sa sœur, son père, sa mère et lui. Deux bagarres éclatent, l'une entre sa mère et son père, l'autre entre lui et sa sœur. Les enfants reproduisent ce qu'ils voient des relations qu'entretiennent leurs parents.  Puis il dessine un cinquième personnage, qu'il appelle le "personnage mystère" ou encore "l'inconnu à la bouée" et que tous les quatre attaquent. Un ennemi commun permet à la famille de "faire corps".

 

Cet enfant, qui a déjà une bonne intuition de la dynamique des groupes, m'imagine avec plaisir dans le rôle de l'ennemi commun. A la fin de l'entretien il me demande : "C'est quand que j'avale ma langue ? Après on ne parle plus".  

 

Dessin 63

 

 

D 64

 

 

Entretien 64

 

Maurice, très calme à son arrivée, me propose de dessiner, disant une fois de plus qu'il ne sait pas quoi dire. Il représente "une maison sur laquelle il pleut à cause de trois Indiens qui dansent pour qu'il pleuve sur la maison parce qu'elle est verte, simplement pour le plaisir d'embêter les habitants." Lui est sur le toit de la maison pour réparer "la parabole de maman", mais avec la pluie il glisse et doit s'agripper pour ne pas tomber. Puis il me raconte que sa mère a le bras cassé et que son père a perdu son emploi. Tout en chantonnant, il répète qu'il déteste la musique. Il insiste sur le fait que c'est lui qui doit aider sa mère (réparer sa parabole) alors que sa sœur, son père et le compagnon de sa mère dansent pour qu'il pleuve.

 

Dans cette histoire Maurice laisse le rôle de "méchant" à d'autres, lui se plaît à s'imaginer dans la réparation. Il faut dire que la mère cumule les accidents. Après une chute de cheval, elle en a fait une seconde dans sa  maison et s'est gravement endommagée un bras. Maurice élaborerait-il la parabole de la castration maternelle ? Il est vrai que sa mère paraît bien handicapée avec son membre détérioré, d'autant plus qu'elle affiche son manque de façon spectaculaire. En l'aidant  dans les tâches quotidiennes, l'enfant trouve une place qui le valorise. Le bras cassé de sa mère lui a ouvert de nouvelles perspectives fantasmatiques lui permettant de trouver un  sens à sa vie  capable de satisfaire ses exigences narcissiques.

 

 

Dessin 64

 

 

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Entretien 65

 

Pour le moment, Maurice ne semble plus poser de problèmes de comportement  et ses résultats scolaires sont satisfaisants. La mère parle d'arrêter la "psychothérapie" bien que l'enfant prenne toujours des neuroleptiques. Pourtant ces entretiens ne sont pas très prenants pour elle  puisque l'enfant vient quasiment toujours seul aux rendez-vous, en taxi. Mais elle pense avoir enfin un enfant "normal", c'est-à-dire docile et performant, et peu  importe si ce n'est éventuellement qu'en apparence et avec l'aide des neuroleptiques. Il est vrai qu'elle aussi est une habituée des psychotropes et que nombreux sont ceux qui ont besoin de l'aide de drogues légales ou illégales pour supporter leur vie.

 

Il dessine " une maison hantée sous la pluie avec un orage mortel. Des arbres tombent sur elle et la cassent. Il y a une inondation. A côté de la maison se trouve une cabane hantée. Ce sont des fantômes qui habitent ici : mon père, maman, son copain et ma sœur. Ils sont morts." Il s'imagine dans le rôle de l'orage et, quand je lui demande si c'est l'orage qui a tué sa famille, il me répond  : "peut-être", puis il me parle de son père qui ne montre de l'intérêt que pour sa fille. "Soit il ne m'aime pas, dit-il. Soit …. C'est même sûr et certain …  Mais je ne l'aime pas non plus."


Puis il se plaint d'être fatigué (étant moins excité, l'effet des neuroleptiques se fait sans doute sentir davantage) et que, n'ayant plus rien à dire, il s'ennuie. Alors il s'emploie, sans aucune animosité, à transgresser tous les interdits possibles et se réjouit de mon embarras. Bien qu'il ne soit pas dans le faire  semblant, il s'agit là pour lui d'un jeu car seul compte le plaisir qu'il trouve dans une transgression qui m'est destinée. Tout se passe comme si le malaise éprouvé face à l'expérience du vide engendrait une régression sadique orale, et qu'il se nourrissait alors de l'agacement qu'il produisait chez moi, de la même manière que d'autres se jettent sur la nourriture ou se livrent à des activités diverses et variées pour faire le plein de plaisir. Le comportement de Maurice n'a cependant plus grand-chose à voir avec ce qu'il était au début : il s'est largement adouci. Il s'agit peut-être aussi pour lui de vérifier qu'il a toujours un certain pouvoir sur moi et que je suis prêt à l'accepter malgré ses facéties.



Dessin 65

 

 

D 66

 

Entretien 66

 

Maurice me paraît calme, un peu inhibé même. Mais il se réveille vite, m'appelle "monsieur je sais tout", puis me tire la langue et les poils du bras. Pour faire diversion, je lui dis que les garçons ont des poils qui poussent à la puberté. Il me répond que, lui, a une voix de garçon et qu'il aurait aimé avoir un frère comme allié contre sa sœur.

 

Il dessine "des gens qui se battent contre ceux qui ont la plus grande et la plus belle maison avec un train pour monter sur le toit sans prendre l'escalier. Les propriétaires de la grande maison détruisent les petites maisons dont les habitants s'en vont. Alors ils restent seuls." Il pense que les voisins et son père sont jaloux de sa mère qui possède, selon lui, une maison imposante.


Il me raconte qu'il a avalé un caillou alors qu'il n'était qu'un bébé, puis se plaint une fois de plus de s'ennuyer. Il s'empare d'une agrafeuse, la vide sur moi et fait tomber volontairement mes feuilles de papier. Désinhibé, il s'amuse à mes dépens et retrouve le sourire. Il part joyeux. Les "troubles des conduites" sont ici semblables  aux états de désinhibition quasi maniaques  que pouvait présenter la mère à une certaine époque, et qui avaient eux aussi, sans doute, une fonction antidépressive. La dépression est directement liée au sentiment de culpabilité et à l'auto-punition; déverser sur autrui une destructivité  destinée à soi, a une fonction thérapeutique indéniable.



Dessin 66

 

 

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Entretien 67


J'ai en face de moi un enfant calme et poli, même respectueux. Une présentation très différente  de l'effet de sédation habituellement obtenu par l'action des neuroleptiques, lesquels d'ailleurs n'ont jamais réussi à le calmer. "On se dispute pour trois fois rien à la  maison, me dit Maurice. A. (le compagnon de sa mère) me soutient, il se bagarre  avec  ma soeur et ma mère."


Il dessine " un hôtel qui vient d'être construit par moi, A. et ma sœur. On veut des sous. Ma sœur s'occupe du restaurant, moi de la piscine et des chambres, A. de la caisse et de la cuisine. Maman dort dans sa chambre, elle est cliente, elle peut aller dans la cuisine. Elle paie, mais moins que les autres."

 

La mère a  changé de statut, elle a acquis une certaine extériorité en devenant cliente alors que Maurice  est un des propriétaires des lieux. Elle aurait pu être une invitée. Ce n'est pas le cas, il faut qu'elle paie sa présence, sa place, au sein du groupe, elle bénéficie cependant d'un prix de faveur. Il énonce clairement ses préférences : de l'argent d'abord, sa mère ensuite. Décidément ce garçon ne manque pas d'humour ! 

  

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Entretien 68

 

Maurice a accepté de partir quelques jours dans un camp de vacances avec sa sœur. La séparation a été difficile mais le séjour s'est déroulé dans de bonnes conditions.

 

En ce moment, il se passionne pour le jardinage et sa mère lui a offert une serre avec des plantes carnivores. Dans le même temps, il restaure une cabane pour les oiseaux. Sa mère dit de lui : "il répare tout".

 

Il me raconte un rêve dans lequel des esclaves fabriquent une statue qui le représente. Il devient président et sa sœur mairesse. Il me demande de lui confirmer qu'un président a plus de pouvoirs qu'un maire.

 

Il m'interroge sur Marianne et me demande si elle est "le président du monde". Il veut savoir si elle est morte. Une autre question semble le préoccuper : est-ce les gens respectent toutes les règles du Président ? Lui pense que non.

 

Maurice se dessine sous les apparences d'un volcan en éruption. Il dit que le volcan est en colère parce que je l'ai énervé. Il compare le volcan à un canon qui tirerait des boulets, puis il me confie que son père ne voulait qu'un seul enfant et que quand il est né sa sœur était déjà là. Il  ajoute qu'il pense que sa mère a obligé son père à avoir un deuxième enfant. "Sinon tu ne me verrais pas", énonce-t-il avec emphase. Voilà qui donne du crédit au fantasme d'une mère toute-puissante.


Il y aurait donc une première faute, celle qui entache sa conception, et une deuxième, celle d'être désirant et de laisser à désirer. 


Quand il se compare implicitement à un boulet, il ne s'agit pas seulement du boulet de canon, mais aussi du boulet attaché au pied du forçat Un boulet, c'est alors une personne inutile qui empêche d'avancer. Mais peut-être qu'il est aussi question de la  "boulette" (l'erreur) d'un père qui se serait retrouvé avec un  enfant dont il ne voulait pas ? Maurice nous fournit là une explication à sa représentation d'un père dont il pense qu'il ne l'aime pas, d' un père qui ne peut pas le voir et dont il chercherait vainement le regard à travers un comportement "troublant". 



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Maurice arrive souriant et détendu. La rentrée scolaire s'est bien passée, mais il tient à me préciser qu'il n'aime pas trop l'école car il  faut travailler, se lever tôt le matin, que la récréation ne dure pas longtemps et que la maîtresse punit.

 

Il projette de ne pas  travailler quand il sera adulte, il ne veut pas de métier. Il pense vivre avec l'argent que sa mère a épargné pour qu'il puisse préparer l'examen du  permis de conduire. Il s'imagine vivre dans une cabane en pleine forêt, mangeant les fruits et les légumes qu'il trouve.

 

"Tu es bizarre, me dit Maurice, tu vis dans une cabane et tu chasses et pêches. Si tu meurs dans la forêt, personne ne te retrouvera." Il s'amuse en imaginant les chinois manger des chatons. Il me traite de cannibale et de  mangeur de chatons. Il parle  d' "un enfant cannibale" et d'un rêve dans lequel il tue et mange les policiers. "Les policiers c'est des poulets, dit-il. Et les poulets on les mange." Il s'amuse beaucoup en nous imaginant tous deux dévorer des bébés. Il tire une réelle jouissance d'oser transgresser les interdits dans les fantasmes qu'il élabore.

 

Arrivé à un certain degré d'excitation, il passe à l'attaque et trace un trait de feutre sur ma main en criant "Pompéi, Pompéi". Ça l'excite d'imaginer tous ceux qui ont été ensevelis vivants sous les cendres du volcan. Il crie dans ma direction : "Tu veux vraiment aller en prison ! Tu es fou." Ensuite il fait semblant de m'abattre d'un coup de fusil. Puis subitement il se calme et dit à propos d'un dessin posé sur un meuble : "Il est pas terminé, il faut le terminer."

 

A la fin de la séance il abaisse le store en disant : "On peut voir tous les gens sans qu'ils nous voient". Je lui demande s'il s'agit d'espionner les autres en me souvenant du système de surveillance par caméras que son père avait installé dans toutes les pièces de leur maison. Il me répond simplement "tout le monde espionne" et hurle dans ma direction :"Arrête ton cinéma."  Quand je signifie à Maurice la fin de la séance, il  abandonne sans difficulté ses fantasmes pour un comportement adapté à la réalité : son jeu  a maintenant une scène et une fin.

 

 

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Maurice sait que je vais prendre ma retraite, et que c'est aujourd'hui notre dernière rencontre. Il est accompagné par sa mère qui me fait part d'un problème de violence. Cette fois-ci c'est son fils qui s'est fait agresser à la sortie de l'école par "deux grands". La réalité des faits a été confirmée par des adultes et le directeur de l'école en a été informé.

 

Je profite de l'occasion pour évoquer avec la mère l'éventualité d'autres agressions que son fils aurait pu subir. C'est avec beaucoup de réticences qu'elle me parle des violences éducatives dont il a été l'objet pendant sa petite enfance.

 

Contrairement à beaucoup d'autres de mes jeunes patients confrontés à mon départ, Maurice n'en dit pas un mot, n'exprime pas la moindre émotion. Il affiche la même indifférence que celle qu'il manifeste face à l'abandon dont il est l'objet de la part de son père. C'est plutôt moi qui suis inquiet pour son avenir. La scolarisation dans une institution spécialisée a été évitée jusqu'à présent bien que la mère, conseillée par des "spécialistes", l'ait évoquée à maintes reprises. Ma connaissance des établissements qui ont pris le relais des anciennes maisons de correction et de redressement me fait  toujours craindre le pire pour ceux qui y sont "ghettoïsés".

 

 

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Comment Maurice pourra-t-il échapper au statut de malade handicapé mental que la société lui assigne sans pour autant l'échanger contre celui d'adolescent ou d'adulte délinquant ? Pourra-t-il trouver une place  où loger sa singularité dans une communauté ne se montrant  pas particulièrement accueillante avec ceux qui sortent du moule dans lequel ils sont supposés se couler, ou devra-t-il vivre en marge, voire en ermite au fond d'une forêt,  comme il l'anticipe ? Le devenir d'un individu n'est pas déterminé uniquement par ses gènes, son histoire, sa structure psychique ou le contexte socioculturel dans lequel il évolue, mais aussi par le regard que les autres portent sur lui, et le considérer comme étant un malade mental, plutôt qu'un délinquant ou un être en souffrance, n'est pas sans conséquence. Le diagnostic est souvent autant un aveu d'incompréhension de la part de ceux qui le portent, ou un jugement de valeur, qu'une solution de facilité offerte par la médecine au pouvoir politique pour gérer la vie des "anormaux". Psychiatriser l'enfance et les enfants relève alors plus de la connivence que de la science.   


Nos sociétés, quand une part importante d'elles se donne, dans les représentations individuelles et collectives, malgré une référence appuyée aux  valeurs républicaines et aux principes démocratiques, comme n'étant  rien d'autre qu'une institutionnalisation déguisée du principe de prédation (la "loi du plus fort"), ne peuvent guère offrir le soutien d'un rapport sociétal structurant à la Loi, ni donner de leçon en matière de respect de la personne. Les lois sont de plus en plus perçues comme étant semblables à des directives qui,  sans véritable base morale ou éthique, ramènent l'art de gouverner à la gestion d'une entreprise. Le fantasme de gouvernants  au service de ceux qu'ils gouvernent, d'élus au service du "bien" de la nation, ne paraît plus guère crédible. Alors la faillite est celle d'une parole qui a cessé de faire lien car elle est perçue comme étant  un instrument de manipulation des masses aux mains des spécialistes du marketing politique. Dès lors, il n'est pas étonnant que la subjectivité s'efface ou soit effacée, puisqu'elle apparaît comme étant un handicap, un obstacle à l'uniformisation, à la  gestion des individus et à l'enrichissement des "élites".


L'adolescence est une période particulièrement délicate pour un enfant souffrant d'importants problèmes d'identité. Il aura plus de difficultés que d'autres à intégrer les effets psychologiques de la puberté, tant au niveau de l'image du corps que des pulsions, ainsi que les nombreuses prises de conscience qui  débutent à cet âge, celles concernant sa propre personne  et, d'une manière plus générale, la condition humaine, mais aussi celles relatives à l'organisation sociétale. Une des  désillusions qui commence souvent à l'âge de l'entrée au lycée, pour se continuer bien au-delà, est liée à la découverte d'une société dont la réalité est bien différente des représentations transmises par le discours idéalisant de l'école. Chacun peut, à tout moment de sa vie, être amené à prendre conscience du conditionnement mental dont il est l'objet de la part d'institutions qui n'apprennent pas à penser, mais ce qu'il faut penser. Indépendamment de toute référence idéologique, on voit s'installer alors la conviction qu'il n'est pas possible de faire confiance à la parole des gouvernants et de leurs représentants. Le sentiment d'être face à une société trompeuse,  qui n'est porteuse d'aucun espoir, contribue à effacer les repères et à perturber une d'identité déjà  peu assurée.

 

Le discours des parents est souvent un des éléments clés du regard que jette l'adolescent sur le monde qui l'entoure. Il serait ainsi illusoire de penser que la crise d'athéisme social d'adultes reléguant les valeurs affichées par la République au rang de dogmes, semblables aux dogmes religieux, soit sans incidence sur l'éducation de leurs enfants. La désacralisation de la loi, une loi qui, certes, peut être crainte, mais à laquelle personne ne croit, joue à cet égard un rôle central. Une loi étrangère aux notions d'équité et d'humanitude apparaît vite comme n'étant qu'un moyen d'oppression suppléant au défaut de lien symbolique.

 

La confiance et la cohérence jouent un rôle essentiel dans la structuration d'un individu ou d'un groupe. Des parents, eux-mêmes déstabilisés par une réalité bien éloignée de leur idéal et face à une société dans laquelle ils ne se reconnaissent plus, en arrivent à se demander si transmettre à leurs enfants le respect scrupuleux des lois et des valeurs de l'humanisme n'est pas les désadapter à la réalité du fonctionnement sociétal. Eduquer un enfant, c'est aussi, paradoxalement, lui apprendre qu'une fois adulte il devra se montrer souple dans son rapport aux lois et savoir transiger avec les valeurs, du moins s'il veut vivre dans un certain confort ou tout simplement survivre. L'actualité nous rappelle régulièrement les problèmes rencontrés par ceux qui aiment un peu trop la loi : les "lanceurs d'alerte" ou, plus simplement, les travailleurs osant rappeler à leurs employeurs les exigences des lois qu'ils leur demandent d'ignorer. Chacun peut se trouver facilement piégé par les doubles discours dont notre société se montre si friande et dont la généralisation est largement responsable du malaise social. Un psychologue qui voudrait travailler dans un lieu de soins, hôpital ou CMP,  tout en respectant les exigences de la loi, en tout cas celles du Code de la Santé Publique, ainsi que les principes déontologiques et les règles techniques de sa profession, risquerait de se retrouver vite dans une impasse. On connaît la fable du chirurgien qui se plaint à son patron de ne pas pouvoir opérer avec un scalpel rouillé et qui se voit, pour cette seule raison, accusé d'incompétence. De tels renversements pervers sont monnaie courante.


Confrontés à la réalité sociétale, l'adolescent et le jeune adulte revivent les désillusions qui ont été les leurs face aux images parentales. Ils ont alors l'impression de se retrouver seuls, délaissés, dans un monde source d'inquiétude. Si la névrose familiale se transforme aisément pour eux en névrose sociale, c'est d'abord  parce que la société va les mettre en présence de nouvelles figures incarnant l'autorité, mais aussi parce qu'ils vont y retrouver, à travers une organisation sociétale inégalitaire, la position dissymétrique qui était la leur au sein de la famille. Cela ne veut évidemment pas dire que tous ceux qui, adolescents ou adultes,  rejettent la société dans laquelle ils vivent ou qui se révoltent et veulent la transformer, répètent inévitablement quelque chose de leur enfance. Toujours est-il que la prise de conscience du fossé qui sépare la réalité des valeurs affichées peut avoir l'effet déstabilisant d'une perte des repères et engendrer une crise identitaire chez celui qui se trouve ainsi "déboussolé", et ceci quel que soit son âge.

 

On aurait tort de s'imaginer qu'induire les enfants en erreur  en les obligeant à reconnaître comme étant des vérités les dogmes de la république soit sans conséquence. Mais un enseignant parle de ce que l'Etat l'autorise à enseigner, ceci sans véritable possibilité de s'écarter du discours officiel, alors que les enfants sont souvent bien informés de nos jours.  Parfois ils osent même poser des questions, et leur mentir n'est pas forcément les aider. Le danger est  d'aggraver leur désillusion le jour où ils ouvriront les yeux. Et alors il ne sera pas certain que les gaver d'antidépresseurs suffise à résoudre le problème. Parfois on peut  entendre des adolescents  déclarer que les adultes sont leurs ennemis ...

 

L'inévitable désidéalisation des parents et des maîtres sera donc suivie par celle des gouvernants et des "faiseurs de lois". Cette désidéalisation va parachever la désacralisation de la loi. Coupée de toute idée de valeur,  elle perd sa dimension unifiante, sa fonction de lien entre les différents membres du corps social qui se morcelle alors comme l'image du corps dans la psychose. De là, il ne reste que la violence de ceux qui se révoltent et celle de ceux qui les écrasent.

 

Il faudrait peut-être s'inquiéter d'une société qui donne à penser qu' "il n'y a que les cons pour être honnêtes", expression que j'ai souvent entendue dans la bouche  d'adolescents. Comment respecter l'autorité et la parole d'un "trouduc" (pour reprendre une des métaphores de Maurice). C'est de la défaillance des Pères dont il est question. On peut voir des adolescents se suicider de désespoir et de haine pour une société qui leur renvoie trop leur propre image défaillante, une société sans altérité et ne leur proposant comme alternative à la "mort de dieu" que leur propre disparition.

 

 





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